VIDÉO - Lutte contre le trafic de drogue : qu'est-ce que le statut de repenti ?

Publié le 23 mars 2024 à 11h55, mis à jour le 28 avril 2024 à 15h32

Source : JT 13h WE

Eric Dupond-Moretti a annoncé dimanche la création d'un "véritable statut de repenti" en France.
Ce statut d'exception est accordé à des membres du crime organisé qui acceptent de collaborer avec la justice, mais il reste très limité jusqu'ici en France.
En Italie comme aux États-Unis, ce dispositif s'est avéré efficace dans la lutte contre les organisations criminelles.

Il a fait ses preuves à l'étranger, mais il reste jusqu'ici sous-utilisé en France, au grand dam des enquêteurs et des magistrats. Ce dimanche 28 avril, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a annoncé un nouvel arsenal juridique contre le crime organisé, évoquant notamment la création d'un "véritable statut du repenti". Une idée inspirée du modèle en vigueur en Italie pour lutter contre la mafia. En France, "une législation en la matière existe déjà, mais elle est beaucoup trop restrictive et donc peu efficace", a déclaré Éric Dupond-Moretti. 

Techniquement en vigueur depuis 2014, le statut de repenti offre à un membre du crime organisé une nouvelle identité, une protection policière, une aide financière et des réductions de peines en échange d’informations. À condition, jusqu'ici, qu'il n'ait pas de sang sur les mains. 

Lors de la première opération anti-drogue d'envergure baptisée "Place nette XXL", menée il y a quelques semaines dans les Bouches-du-Rhône, TF1info avait interrogé la magistrate Béatrice Brugère, spécialisée sur la criminalité organisée, secrétaire générale du syndicat Unité Magistrats FO, pour mieux comprendre les limites du contexte actuel.

En quoi consiste le statut de repenti actuel en France et quel intérêt présente-t-il dans la lutte contre le trafic de stupéfiant ?

Béatrice Brugère : Il s’adresse à des personnes qui sont dans des réseaux criminels de très haut niveau et qui collaborent avec la justice en échange de leur protection et de réductions de peines. Les repentis risquent des représailles, notamment pour leur famille, ou même de se faire tuer. Ce n’est pas une infiltration. Là, on parle de quelqu’un avec un profil de délinquant ou d'un criminel qui se trouve déjà à l’intérieur du réseau. Ce n'est pas non plus un simple informateur qui vous dit où est cachée la drogue. 

Pour en bénéficier, il faut que l'intéressé fournisse des informations à très haute valeur ajoutée qui permettent de faire tomber un réseau criminel ou d’empêcher un crime, une livraison de drogue ou un règlement de compte par exemple. C’est un statut très particulier. Par conséquent, il est accordé uniquement dans des cas bien spécifiques. 

Concrètement, dans quelles conditions décide-t-on jusqu'ici de l’accorder ?

C'est le procureur ou le juge d’instruction qui en fait la demande, après avis du SIAT (Service interministériel d'assistance technique), qui est un service de police chargée d’en évaluer la pertinence. Pour faire simple, il va s'assurer que la personne n’est pas un manipulateur et si cela vaut la peine de dépenser de l’argent et de mettre moyens humains. Ensuite, c’est la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) qui tranche. Elle n’a pas la main sur les candidats, mais elle rend un avis. Il y a un travail d’approche qui est réalisé en amont, sur le terrain, par la police pour identifier les profils qui pourraient être intéressants.  

C'est en grande partie grâce à ce système que l'Italie et les États-Unis ont réussi à démanteler la mafia
Béatrice Brugère

Le statut de collaborateur de justice est utilisé depuis longtemps en Italie et aux États-Unis. En France, il n'a été mis en place qu'en 2014. Pourquoi ?

Il est issu de la Loi Perben 2, votée en 2004, dont l’objectif est d’améliorer la lutte contre le crime organisé. Mais on a attendu dix ans – ce qui est totalement inouï – avant de promulguer le texte par décret. Il y a eu un énorme retard à l’allumage. Cela montre bien qu’on croit peu en ce système, qui a pourtant ses preuves en Italie ou aux États-Unis. Ce dispositif est extrêmement efficace. C'est d'ailleurs en grande partie grâce à lui que les autorités de ces pays ont réussi à démanteler les mafias sicilienne et new-yorkaise. Mais contrairement à la France, ces pays ont mis beaucoup d'argent sur la table. 

Le système français n'est cependant pas tout à fait le même, en quoi diffère-t-il ?

En France, seuls les trafiquants repentis n'ayant pas de sang sur les mains peuvent bénéficier aujourd'hui d'une protection, contrairement à l'Italie ou aux États-Unis. Or, ce sont justement ces profils qui nous intéressent. Dans les réseaux criminels, il y a souvent des règlements de compte. Une partie importante de "candidats" pouvant fournir des informations pertinentes depuis l’intérieur n'est pas éligible au dispositif.

Dans certains pays, cela peut aller jusqu'à la chirurgie esthétique pour changer de visage
Béatrice Brugère

Sait-on combien de personnes en ont bénéficié depuis sa mise en place ?

Au 1ᵉʳ janvier 2024, il y aurait 44 personnes prises en charge dans le cadre de 18 programmes actifs. Depuis sa mise en place, il y aurait eu seulement 60 repentis et 22 programmes actifs, dont 17 concerneraient des affaires liées au trafic de stupéfiants. Cela concerne des réseaux d’envergure quasi internationaux. Manifestement, on l'utilise de plus en plus, mais cela reste encore insuffisant, ce que soulignait Bruno Sturlèse, l’ancien président de la CNPR, dans un rapport remis l’an dernier au garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. 

Comment expliquez-vous ce faible recours ?

La première raison, c’est que cela requiert des moyens financiers et logistiques très importants. Pour protéger la personne, il faut parfois lui changer son identité et lui écrire une nouvelle "légende", mais aussi lui trouver un nouveau lieu d’habitation. Dans certains pays, cela peut aller jusqu'à la chirurgie esthétique pour changer de visage. Évidemment, tout cela à un coût.  

Notre dispositif se révèle en outre assez lourd et mériterait d’être simplifié. Mais, surtout, il ne permet pas de garantir une réduction de peine. Lorsqu'ils saisissent la CNPR, le procureur ou le juge d’instruction sont au début de l’enquête et n’ont pas la main sur la décision finale. La promesse faite aux repentis est alors un peu informelle. Pour que le statut soit plus attractif et plus sécurisant, il faudrait mettre en place un système qui soit totalement "bétonné" du début à la fin. 

Êtes-vous également favorable à un assouplissement de la législation sur ces collaborateurs de justice, réclamé début mars par le procureur de la République de Marseille ?

Ce qu'il dit n’est pas nouveau. Notre système est bancal et donc sous-utilisé. Le rapport de Bruno Sturlèse pointe du doigt deux problèmes majeurs : d’abord, le fait d'avoir écarté la possibilité d’utiliser le statut de collaborateur de justice pour les personnes qui ont participé à des crimes de sang. Et ensuite, une lourdeur administrative bien trop importante. 

Il faudrait aussi renforcer le dispositif de protection de ces personnes en leur garantissant une réduction de peine. Mais, pour cela, des moyens sont nécessaires. L’Italie y consacre beaucoup d’argent. Un énorme budget qui doit être dix fois plus élevé que le nôtre. Et je ne parle même pas des Américains. Eux, c’est encore une autre dimension. 


Matthieu DELACHARLERY

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