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25% d'étrangers en prison, la preuve d'un lien entre délinquance et immigration ?

Publié le 19 février 2022 à 18h12, mis à jour le 10 mars 2022 à 16h59
Le ministère de la Justice dispose bel et bien de données relatives à la part d'étrangers sous les verrous.
Le ministère de la Justice dispose bel et bien de données relatives à la part d'étrangers sous les verrous. - Source : JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

L'entourage d'Éric Zemmour soutient qu'il existe un lien entre l'immigration et la délinquance.
Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti assure quant à lui qu'il n'existe pas de chiffres sur la représentation des étrangers en prison.
Si des données sont bien disponibles, laissant penser qu'un tel lien existe, elles présentent de nombreux biais trompeurs qui faussent notre perception.

Ces dernières semaines, le pouvoir d'achat et l'énergie se sont imposés parmi les thèmes centraux de la campagne présidentielle. Sans toutefois faire oublier des questions relatives à la sécurité ou à l'immigration, portées notamment par Éric Zemmour à chacune de ses interventions publiques.

Sur le plateau de France Info cette semaine, son porte-parole Vijay Monany a mis en avant une position très tranchée. "Nous établissons un lien entre l'explosion de l'immigration et l'explosion de l'insécurité", a-t-il lancé. Et de citer notamment la part d'étrangers dans les prisons – 25% alors qu'ils représentent 7% de la population globale – pour étayer son propos. 

Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, interrogé peu après sur le plateau de LCI à propos de ces données relatives aux prisonniers, a botté en touche. "Il n'y a pas de statistiques qui soient tenues en la matière, mais pourquoi pas", a évacué le garde des Sceaux, jugeant plus pertinent d'aborder la question de l'immigration "de façon large, et pas seulement sous la focale de la délinquance".

Pas de données sur la part d'étrangers en prison ?

Selon l'Insee, "la population étrangère vivant en France s'élève à 5,1 millions de personnes, soit 7,6 % de la population totale". Pour l'équipe d'Éric Zemmour, il serait logique que l'on observe une répartition similaire au sein des prisons. Or, il n'en est rien. Éric Dupond-Moretti se trompe en expliquant que nous ne disposons pas de données relatives à la nationalité des détenus, puisque son propre ministère en fournit. 

En juillet 2021, 24,6% des 67.971 détenus écroués étaient ainsi de nationalité étrangère, soit 16.727 personnes. On retrouve ici peu ou prou le chiffre avancé par l'entourage du candidat Zemmour. Comme le fait remarquer l'Observatoire international des prisons (OIP), "les statistiques relatives aux peines prononcées par les tribunaux correctionnels et les cours d’assises publiées annuellement par le ministère de la Justice" permettent d'en savoir plus. Elles nous apprennent entre autres que "15,4 % des 547.362 condamnations prononcées en 2018 concernaient des étrangers – apatrides et nationalité inconnues inclus".

Des conclusions toujours hasardeuses

Si le ministre de la Justice avance un tort l'argument selon lequel nous manquerions de données pour quantifier la part des étrangers parmi les personnes emprisonnées, il souligne à raison que se baser sur des éléments chiffrés ne peut pas constituer une approche unique pour traiter de questions d'immigration. Ces chiffres sont en effet soumis à une multitude de biais que les sociologues et experts de la délinquance ou de la justice ont décrypté à maintes reprises. 

L'Institut convergences migrations, affilié au CNRS, a présenté à l'automne 2020 un document synthétisant les travaux de recherche visant à évaluer les liens potentiels entre délinquance et immigration. Cette note, renvoyant à de multiples études, met en avant le fait que "dans 99,2% des condamnations de personnes de nationalité étrangère, les infractions sont des délits – dont plus de 55% concernent la circulation routière et des vols – et dans seulement 0,8% des crimes"

Un élément apparaît rapidement aux yeux des spécialistes : le fait que les étrangers sont généralement surreprésentés "dans les types de délinquance qui sont typiquement celles des milieux populaires, mais qui sont également les formes de délinquance les plus visibles, les plus simples et donc les plus réprimées par la police et la justice". Moins aisés en moyenne, les étrangers présents sur le sol français seraient ainsi davantage sujets à basculer dans la délinquance. "Faute de posséder des papiers en règle ou de bénéficier d’un réel droit au travail, une partie considérable" d'entre eux souffre "d’une absence de revenus légaux", fait remarquer pour sa part l'OIP. L'organisation décrit "un contexte de vulnérabilité qui ne peut qu’être le terreau d’un passage à l’acte délictuel pour satisfaire des besoins primaires de subsistance"

Un argumentaire politique récurrent

L'entourage d'Éric Zemmour, en se basant uniquement sur des chiffres de la délinquance, effectue un raccourci potentiellement trompeur. Il n'est toutefois par le premier à utiliser un tel argumentaire puisque TF1info s'était penché en novembre dernier sur des propos similaires tenus par Valérie Pécresse. La candidate LR dressait un lien entre immigration et "la montée de la violence et de la délinquance", faisant fi elle aussi des multiples travaux menés de longues date dans le domaine des sciences sociales.

Afin de prendre du recul sur ces déclarations comme sur celles de Vijay Monany, il est utile de lire les arguments avancés par la chercheuse Virginie Gautron, maître de conférences en droit pénal et sciences criminelles à l’Université de Nantes. "Être né à l’étranger ou sans domicile fixe multiplie par trois les chances d’être jugé en comparution immédiate et par cinq d’être placé en détention provisoire", confiait-elle il y a quelques années à l'OIP, sans pour autant laisser entendre que la justice se montrait discriminante. Et l'expliquait entre autres par le fait que "quelqu’un qui a potentiellement des attaches à l’étranger peut fuir, donc ne pas se présenter le jour du jugement", des représentations qui "relèvent, du moins pour partie, de réels constats".

En conclusion, contrairement à ce qu'avance Éric Dupond-Moretti, il existe bel et bien des statistiques relatives à la part d'étrangers en prison. Celles-ci permettent d'observer une surreprésentation des personnes de nationalité étrangères sous les verrous, faisant écho à la part plus importantes des condamnations qui leur est imputée par rapport au reste de la population. 

Cela ne suffit toutefois pas à conclure, comme le fait l'entourage, d'Éric Zemmour qu'un lien s'observe de manière indubitable entre immigration et délinquance. Cette affirmation, reprise à de nombreuses reprises à droite depuis de longues années (et encore récemment par Valérie Pécresse) laissent en effet de côté des éléments socio-économiques essentiels à la compréhension des violences. Des éléments très largement documentés de longue date par les chercheurs en sciences économiques et sociales. 

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Thomas DESZPOT

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