ENQUÊTE - Chevaux mutilés : histoire d'une psychose collective... et d'un grand mensonge

par Noemie KOSKAS | Reportage TF1 Victoria David et Axel Charles-Messance
Publié le 30 juillet 2023 à 11h00

Source : JT 20h WE

En juin 2020, le témoignage d'une propriétaire de chevaux, qui assurait que sa jument avait été violemment agressée et tuée, a fait le tour des médias.
La paranoïa s'est emparée des propriétaires d'équidés, certains ayant découvert leurs animaux mutilés.
Les enquêteurs ont toutefois mis au jour le mensonge de la jeune femme.

Oreilles coupées, membres blessés, gorges tranchées... À l'été 2020, la psychose s'installe dans le monde équin après la découverte de dizaines de cheveux attaqués, en apparence torturés. L'affaire fait alors la Une des journaux. Partout en France, les propriétaires d'équidés, affolés, restent sur leurs gardes, certains effectuant même des rondes en pleine nuit à la recherche de voitures suspectes garées près des champs. 

Face aux atroces mutilations subies par les chevaux, la panique s'intensifie. S'agissait-il de rites sataniques ? De dérives sectaires ? Un "gang de tueurs de chevaux" était-il en train de sévir dans le pays ? Toutes les pistes sont étudiées. Des centaines d'enquêtes sont ouvertes. Mais tout cela reposait sur des rumeurs... et un énorme mensonge.

Le témoignage effrayant d'une propriétaire de chevaux

Tout commence à Dieppe (Seine-Maritime), fin juin 2020, dans la rédaction de l'hebdomadaire local Les Informations dieppoises. Ce jour-là, Augustin Bouquet des Chaux, journaliste de permanence, reçoit un appel d'une certaine Pauline. "Elle dit que sa jument est morte dans son champ et qu'elle a été très certainement agressée par quelqu'un", se souvient le journaliste, à qui Pauline confie que sa jument saigne, qu'il n'y a "plus la peau quasiment sur la moitié du visage" et que l'une des oreilles de l'équidé est coupée. "Elle est persuadée que quelqu'un est venu pour s'en prendre à sa jument, une ou plusieurs personnes", ajoute Augustin Bouquet des Chaux.

L'actualité est calme, et le journal décide de mettre cette histoire à la Une. À l'époque, quelques cas de chevaux mutilés ont déjà été dénombrés, mais le témoignage de Pauline est l'un des premiers à faire le tour des médias. "Je ne dors plus, et je n'ai qu'une envie, c'est de retrouver, excusez-moi l'expression, l'enfoiré qui a fait ça", déclare-t-elle devant la caméra de France 3 Normandie. Pauline crée alors un groupe Facebook, "Justice pour nos chevaux", pour recenser les attaques et mettre les propriétaires qui s'estiment victimes en contact. Très vite, les réseaux sociaux s'emballent et les témoignages s'accumulent dans les médias. Devant une caméra, un propriétaire montre par exemple la blessure suturée de sa jument, victime, selon lui, d'un coup de serpette.  

Les doutes des enquêteurs

La gendarmerie déploie des moyens colossaux. Une cellule d'enquête nationale est ouverte. Partout en France, la paranoïa s'empare des propriétaires de chevaux. "Il y a eu une psychose dans tous les clubs, et on avait établi un peu un plan de surveillance pour la nuit", raconte Nathalie Duval, directrice de l'écurie du Bal, à Hautot-sur-Mer (Seine-Maritime). Cette dernière assure même que "les gens étaient prêts à prendre les armes pour défendre leurs animaux dans les champs"

Mais y a-t-il vraiment un lien entre toutes ces attaques ? Au début de l'automne, les enquêteurs ont un doute. D'abord, en Seine-Maritime, ils découvrent que Pauline, l'une des premières victimes à avoir témoigné, ne leur a pas tout dit. "Les services vétérinaires vont être étonnés d'apprendre qu'un vétérinaire a dû intervenir à cinq reprises lors des derniers mois pour euthanasier un cheval qui était confié à cette personne", explique Étienne Thieffry, procureur de la République de Dieppe. 

Après de longues heures d'audition, la jeune femme craque. "La plaignante va admettre très rapidement qu'elle a menti et elle a reconnu qu'elle avait de grandes difficultés financières et qu'un de ses chiens qu'elle n'arrivait pas à alimenter correctement avait fini par attaquer la jument", détaille le procureur de la République de Dieppe. Pour ne pas que son chien soit euthanasié, elle a tenté de faire diversion. Dépassée par son mensonge, Pauline a aujourd'hui disparu. Elle a laissé un terrain à l'abandon et de nombreuses questions derrière elle. La jeune femme a été condamnée pour mauvais traitements et dénonciation mensongère à quatre mois de prison avec sursis.

Des morts naturelles

Qu'en est-il des 500 cas signalés ailleurs en France, cette année-là ? Peu à peu, les autopsies livrent leur verdict. L'immense majorité des chevaux mutilés sont en fait morts naturellement. Seules 84 attaques relèvent bien d'une action humaine, soit 16%. De quoi affaiblir l'hypothèse d'un vaste phénomène criminel. Fin 2020, Marie-Béatrice Tonanny, coordinatrice nationale à la sous-direction de la police judiciaire, révélait dans une interview à l'AFP que "les actes de cruauté n'ont pas explosé par rapport aux autres années". "Il y a eu une petite augmentation, peut-être due à la médiatisation et aux copycats (imitateurs, ndlr). Ce qui explose, c'est le nombre de signalements, d'appels de personnes nous disant 'mon cheval est blessé'", avait-elle argumenté.

Par ailleurs, selon Mathieu Deslandes, journaliste à la revue des médias (INA), qui a enquêté sur le sujet, ces attaques n'ont pas été coordonnées. "Ce sont des cas isolés qui n'ont pas de lien entre eux. On n'a pas de gangs qui auraient traversé la France pour s'en prendre aux chevaux", souligne l'auteur de l'article "Chevaux mutilés : enquête sur un mensonge"


Noemie KOSKAS | Reportage TF1 Victoria David et Axel Charles-Messance

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