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L'Union européenne avait-elle prévu de baisser la production agricole du continent ?

Publié le 26 janvier 2024 à 22h16, mis à jour le 30 janvier 2024 à 10h38

Source : JT 13h WE

En plein mouvement de colère des agriculteurs, certains dénoncent les règles environnementales européennes.
François-Xavier Bellamy, tête de liste de LR aux Européennes, accuse Bruxelles d'avoir organisé un "projet de décroissance" de l'agriculture.
Nous avons vérifié ses propos.

Le "ras-le-bol" est un mot bien français, mais le sentiment des agriculteurs est européen. Partout à travers le continent, éleveurs et cultivateurs manifestent. Si les revendications divergent en fonction des pays, tous portent une même colère à l'encontre de Bruxelles. Depuis le début du mouvement social, l'Union européenne est régulièrement critiquée pour ses normes jugées trop restrictives. Une aubaine pour certains élus, qui s'emparent du problème à quelques mois des élections européennes. À l'instar de François Xavier Bellamy. Ce mercredi 24 janvier, la tête de liste du parti Les Républicains a accusé l'Europe d'avoir programmé une "baisse de la production agricole".

Aux yeux de l'eurodéputé, le projet de Bruxelles baptisé "Farm to Fork" (De la ferme à la fourchette, ndlr) présenté en 2020 a toujours eu comme objectif une "forme de décroissance". "La conséquence de ce projet était annoncée dès le départ", a-t-il plaidé au micro de Sud Radio, à savoir une baisse de "13 à 15% de la production agricole". "Tout ça était déjà prévu", a-t-il martelé, dénonçant une politique portée par "les Verts, une grande partie de la gauche et les élus macronistes". Pour preuve, l'élu de droite assure que le texte prévoyait de "geler 10% des surfaces agricoles existantes". Une accusation réfutée par l'eurodéputé Pascal Canfin. Sur ses réseaux sociaux, celui qui est à la tête de la puissante commission environnement du Parlement européen a décrit un "mensonge colporté depuis un an". "Répéter un mensonge n'en fera jamais une vérité", a-t-il ajouté. Nous avons donc voulu démêler le vrai du faux. 

Un objectif assumé ...

Pour en savoir plus, nous nous sommes tournés vers les modélisations réalisées par le Centre commun de recherche (JRC) de l'Union européenne. Dans un rapport publié en juillet 2021, ce laboratoire a tenté d'évaluer les "effets potentiels" de certains objectifs du plan "Farm to fork ", cité par François-Xavier Bellamy. Dans ses pages, le JRC rappelle que "pour enrayer la perte de biodiversité", l'un des "engagements clés" est "la mise en place d'au moins 10 % de la surface agricole dans des paysages à haute diversité"

Pour y arriver, le centre tient compte des niveaux actuels de jachère sur le territoire, qui correspondent à 4,1% de la surface. "Par conséquent, la superficie supplémentaire nécessaire pour atteindre l'objectif est de 5,3 % de la superficie totale", souligne le rapport. Aucun besoin de "geler 10% des surfaces agricoles", contrairement à ce qu'indique François-Xavier Bellamy. Toutefois, le JRC relève bien que cet engagement est "susceptible d'affecter la production agricole". À quelle échelle ? Dans les conclusions de son analyse, le centre estime que ces mesures provoqueraient une baisse située entre 13% et 15% en fonction des produits, comme les céréales ou le bœuf, et pourraient s'accompagner de "variations de prix et de revenus pour certains produits agricoles". À noter néanmoins que cette modélisation ne prend pas en compte "de nombreux instruments", comme la réduction des déchets alimentaires, les changements de régime de la population, ou encore les plans en faveur de l'agriculture biologique, et n'évoque pas l'impact du soutien de la politique agricole commune (PAC).

Reste que cet objectif a bien été repris dans la proposition portée par Pascal Canfin au Parlement européen. Cependant l'objectif de jachère y a été remplacé par celui de "particularités topographiques". L'article 14 de la proposition de règlement déposée en juin 2022 prévoit en effet "qu'au moins 10% de la surface agricole de l'Union soit constituée de particularités topographiques à haute diversité à l'horizon 2030". Une formule qui décrit l'ensemble des "éléments de végétation naturelle ou semi-naturelle présents dans un contexte agricole", précise la proposition. Ces terres doivent "être soumises le moins possible à des perturbations externes de manière à offrir des habitats sûrs à différents taxons". Elles ne peuvent pas être "utilisées à des fins de production agricole", ni faire l'objet de "traitement à base d'engrais ou de pesticides". 

... avant d'être retiré

Dans cette version du texte, qui remonte à juin 2022, les bénéficiaires de la PAC devaient donc effectivement consacrer au moins 4% de leurs terres, voire 3% dans certains cas, à "des zones et éléments non productifs, y compris des terres mises en jachère".  Mais plus d'un an plus tard, la guerre en Ukraine puis l'inflation sont passées par là. Alors, qu'en reste-t-il ?  Dans le texte sur lequel les députés se sont mis d'accord en novembre dernier, cet objectif a purement et simplement disparu. L'article 14, disponible en ligne, ne prévoit plus aucun pourcentage de terres réservées à la biodiversité. La formule est remplacée par
l'engagement pour chaque État "de planter au moins trois milliards d'arbres supplémentaires dans l'Union d'ici à 2030"

Passer à l'agriculture biologique : si difficile pour les agriculteurs ?Source : JT 20h Semaine

En résumé, si l'Union européenne doit effectivement adopter une stratégie "en faveur de la biodiversité", ce texte vise aussi "à assurer la résilience et la sécurité de l'approvisionnement alimentaire tant dans l'Union". Raison pour laquelle les 10% de terres pour la biodiversité ont disparu du règlement final. Aucune norme ne s'appliquera.

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Felicia SIDERIS

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