La réforme des retraites instaure-t-elle un "impôt régressif" au profit des plus riches, comme l'affirme Thomas Piketty ?

par Claire CAMBIER
Publié le 3 décembre 2019 à 17h02
La réforme des retraites instaure-t-elle un "impôt régressif" au profit des plus riches, comme l'affirme Thomas Piketty ?
Source : ISOPIX/SIPA

RETRAITES - Sur France Inter, l'économiste Thomas Piketty a dénoncé la réforme des retraites, assurant qu'elle instaurera "un impôt régressif". Selon lui, les cotisations des salaires passeraient de 28% à 2,8% au-delà de 10.000 euros de revenus par mois. Une analyse contestée par des experts. Explications.

L'intervention de l'économiste Thomas Piketty sur France Inter ce lundi 2 décembre a suscité de nombreuses interrogations sur l'équité de la nouvelle réforme des retraites. "Un régime universel acceptable, ce serait un régime qui serait beaucoup plus favorable sur les salaires entre 1 Smic, 2 Smic, 3 Smic, et qui fasse porter davantage l’effort sur les salaires à 6 Smic, 7 Smic et au-delà. Or, le projet Delevoye fait exactement le contraire", condamne l'économiste. 

La nouvelle réforme propose de porter à "28% les cotisations sur tous les salaires jusqu’à 10.000 euros par mois" (soit 120.000 euros par an, environ 7 Smic), poursuit-il. "Et ça tombe ensuite à 2,8% au-delà de 120.000 euros. Donc 10 fois moins."

Thomas Piketty, suivi du député LFI François Ruffin dénoncent ainsi un "impôt régressif" pour les riches. "Un nouveau cadeau de 'Robin des bois à l'envers'", dénonce le député de la Somme.

Pourtant, des experts ont estimé au contraire que cette réforme allait pénaliser les hauts salaires. Qu'en est-il ? 

Comment fonctionne le système actuel ?

Il convient tout d'abord de comparer la réforme envisagée avec le système actuel. Aujourd’hui, "pour les salariés, le régime de base va jusqu’à un plafond annuel de la Sécurité sociale (PASS), soit 40 000 euros, et le régime complémentaire jusqu’à huit fois ce plafond, soit 320 000 euros", a expliqué, le 14 novembre dernier, M. Delevoye devant la Commission des Affaires sociales de l'Assemblée. 

Plus précisément, les salariés du privé cotisent actuellement à hauteur de 27,77%, pour la partie de revenus inférieure à 40.000 euros, puis à 26,94 % entre 40.000 et 320.000 euros de revenus. Ces cotisations sont réparties entre l'employeur et le salarié. Au-delà, les sommes perçues ne sont pas soumises à cotisations, ce qui signifie que seule la part du salaire située sous le plafond ouvre droit à pension. 

Reste une dernière cotisation, dite "déplafonnée", qui est prélevée sur l'ensemble du salaire à hauteur de 2,30 % en 2019 (là encore, répartie entre l'employeur et le salarié).

Les plus hauts salaires toucheront des retraites plus faibles

Qu'en sera-t-il à l'avenir ? "Nous avons décidé de faire aller le régime de base [de 8 à] 3 fois le plafond, ce qui permet d’englober 98 % des salariés du privé et des fonctionnaires et 95 % de la masse salariale", répond le haut commissaire à la réforme des retraites. Dorénavant, tous les salariés et assimilés verront donc leurs salaires prélevés d'un taux unique de 28,12% (partagé à 60% pour les employeurs et 40% pour les salariés) sur les 120.000 premiers euros gagnés sur l'année (10.000 par mois).

Ce taux comprend deux cotisations : l'une dite plafonnée de 25,31% et une seconde dite déplafonnée, de 2,81%, qui s'appliquera sur l'ensemble des salaires, mais qui ne donnera pas droit à retraite. Les plus hauts salaires, contribueront donc à hauteur de 2,81%, au-delà des 120.000 euros annuels (3 PASS).

Le plafond étant abaissé, les salariés touchant de fortes rémunérations contribueront moins qu'aujourd'hui, et verront leur salaires rehaussés, mais cela signifie également que leurs retraites seront plus faibles. Un fait que Thomas Piketty occulte totalement. Selon Jean-Paul Delevoye, cela concerne tout de même "450 000 personnes environ, salariés et professions libérales à parts égales, auxquelles s’ajoutent 8 000 fonctionnaires". Une population non négligeable.

L'Institut de la protection sociale (IPS), soutenu par les syndicats de cadres, ne voit pas cette réforme d'un bon œil. Ce "laboratoire d'idées", composé d'experts financiers, juridiques et fiscaux, estime même que "les cadres supérieurs comptent parmi les grands perdants de la réforme Delevoye". 

Il livre quelques exemples : un cadre de 45 ans gagnant 243.000 euros par an perdrait près de 30.000 euros pas an au terme de sa carrière, soit 2500 euros par mois. Une cadre de 35 ans percevant 162.000 euros perdait, quant à elle 15.000 euros par an, soit 1250 euros par mois. Pour compenser ces pertes, ils devront se tourner vers des plans d'épargne et de la capitalisation. Cela aura un coût certain, en premier lieu pour les plus hauts salaires et les jeunes.

L'IPS craint de fait un effet pervers : les hauts revenus "auront une retraite qui dépendra majoritairement de leur effort personnel. Les populations les plus aisées auront ainsi leurs propres règles, avec le risque de désolidarisation. Le sort de la retraite des autres risque de ne pas beaucoup les intéresser, ni les mobiliser." 

Surtout, "on assistera à des montages patrimoniaux, sociaux et fiscaux complexes destinés à compenser la perte de droits. Les dispositifs d’épargne salariale seront notamment sollicités mais en détournant le caractère collectif propre à ces mécanismes. Comme en son temps pour les retraites chapeau (régimes à prestations définies), cela finira par des abus retentissants. Au final, cette situation ne pourra qu’affaiblir le caractère solidaire du système de retraite et de protection sociale, le tout s’achevant par un surcroît de réglementation." Un élément relie donc les analyses de l'IPS et de Thomas Piketty  : ils considèrent tous deux que la nouvelle réforme ne sera pas si "universelle" que le promet le gouvernement.

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Claire CAMBIER

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