Voilà pourquoi ce ne sont pas forcément les plus compétents qui réussissent au travail

Publié le 15 novembre 2022 à 12h40, mis à jour le 15 novembre 2022 à 12h56

Source : Sujet TF1 Info

Vous l'avez sans doute déjà observé : en entreprise, ce ne sont pas forcément les meilleurs qui occupent les postes hiérarchiques.
Une conséquence de l’effet Dunning-Kruger, ou effet de surconfiance.
Un phénomène très sérieux qui a été étudié.

Jean se rappelle encore quand il a vu débarquer celui qui allait devenir son futur manager. "Il n’arrêtait pas de parler, avait l’air très sûr de lui, brandissait de grandes idées et de beaux concepts, ce qui avait l’air d’impressionner son supérieur. Moi, je trouvais ça creux, c’était du vent, des grands mots qui ne disaient rien que l’on ne sache déjà", se souvient-il.

On ne saura pas si ce chef est aussi incompétent que le portrait qu'en dresse Jean, mais il est possible qu’il souffre de ce que l’on appelle l’effet Dunning-Kruger, autrement appelé effet de surestime de soi, ou de surconfiance. Oui, cela existe : c’est même un biais cognitif, qui veut que les moins qualifiés aient tendance à surestimer leurs capacités, alors qu’à l’inverse, les gens les plus compétents ne cessent de s’interroger sur les leurs.

Se surestimer par ignorance

Ce phénomène a été théorisé par deux psychologues américains, David Dunning et Justin Kruger. Leur réflexion est partie d’une affaire pour le moins insolite : en 1995, un Américain, McArthur Wheeler, cambriole en plein jour deux banques de Pittsburgh. Il est tête nue, ne cherche pas à se cacher. Les images de vidéosurveillance sont diffusées par tous les médias, et l'homme est très vite arrêté. Quand la police lui montre les images, il ne comprend pas : il avait lu quelque part que le jus de citron faisait office d’encre invisible, et s’en était barbouillé le visage, persuadé, ainsi, d’échapper aux radars. Les deux psychologues sont partis de son cas pour comprendre comment on pouvait être aussi ignorant et sûr de soi à la fois. 

Ils ont ainsi mené une série de tests sur des étudiants, qu'ils relatent dans une étude publiée en 2000, en leur faisant passer de courts tests d'humour, de grammaire et de logique, puis en leur demandant à la fois de s'autoévaluer et d'estimer leur place par rapport aux autres. À chaque fois, ce sont les élèves les moins performants qui surestimaient le plus leurs résultats. "Les gens se surestiment par ignorance", analyse David Dunning dans l'étude, qui cite l'exemple d'un "homme âgé qui pense qu'il est un excellent conducteur, mais qui représente un danger sur la route, ou de la femme qui lit un livre sur le marché boursier et se sent prête à concurrencer un agent de change professionnel".

De la différence entre assurance et compétence

Dans le milieu professionnel, cet effet de surconfiance a un autre impact, rappelé sur son site par le cabinet de prévention des risques professionnels JEM Consulting : "Nous avons tous, dans notre entourage privé ou professionnel, une personne qui arrive à se faire passer pour quelqu'un de doué, il donne son avis sur tout, intervient dans des conversations, alors que son incompétence est flagrante dès lors qu'elle s'exprime sur un thème qu'elle ignore, avec un charisme déconcertant… Dopées par une confiance en elles, elles arrivent à accéder à des postes à responsabilités, car souvent ces personnes s'attribuent le mérite (le résultat) d'un travail en équipe, ainsi, elles ne se rendent pas compte de leurs erreurs". De là résultent des promotions parfois imméritées, des augmentations de salaires injustifiées, ou parfois une cohésion de groupe mise à mal.

Comment ces personnes en sont-elles arrivées là ? Sans doute par le fait d'un autre effet, qu'explique le psychologue du travail Tomas Chamorro-Premuzic sur le site de la Harvard Business Review, dans un article intitulé "Pourquoi tant d'hommes incompétents deviennent des leaders ?" : dans cette étude qui explore les différences de réussite entre hommes et femmes, il montre comment nous avons tendance à interpréter la confiance en soi et les démonstrations d'assurance comme des signes de compétence. Une manière d'être qui serait selon lui plutôt masculine. "Les manifestations d'hybris (de démesure) sont communément confondues avec un potentiel de leadership, qui se produisent beaucoup plus fréquemment chez les hommes que chez les femmes", écrit ainsi le psychologue. "Les hommes ont tendance à penser qu'ils sont beaucoup plus intelligents que les femmes. Pourtant, l'arrogance et l'excès de confiance sont inversement liés au talent de leadership, à la capacité de maintenir des équipes performantes et de travailler dans l’intérêt du groupe." 

La vraie connaissance est de connaître l'étendue de son ignorance
Confucius

Le paradoxe de l’histoire est en effet que ce sont ces mêmes caractéristiques psychologiques qui permettent aux cadres masculins d’accéder au sommet de la hiérarchie et qui sont aussi responsables de leur échec. En clair, les compétences qui leur font obtenir ce poste sont exactement l’inverse de ce qu'il faut pour bien faire le job. 

Mais alors, comment faire dans une entreprise où les "incompétents" occupent des postes à responsabilités et les compétents des postes subalternes ? C'est la question que soulève le cabinet de prévention en risques psychosociaux. La première chose est déjà, conseille-t-il, "d'analyser ces personnes", pour "savoir qui est compétent et qui ne l'est pas". "Puis il faut leur faire prendre conscience du problème et à partir de ce moment, essayer de proposer des solutions, pour que les salariés puissent combler leurs lacunes", ajoute-t-il.

Rien n'est en tout cas perdu, tempère, dans un article du magazine Forbes, David Dunning. Le professeur explique que l’une des raisons pour lesquelles ces personnes ne sont pas assez performantes est tout simplement qu’elles n’ont pas conscience qu’il est possible de faire mieux. "Ce ne sont pas des personnes sur la défensive, elles manquent simplement de connaissances", explique le professeur, selon qui ces salariés sont en fait tout à fait disposés à avoir un regard critique sur leurs compétences et à s’améliorer, une fois qu’on leur a montré qu’il est possible de faire mieux, ou qu’une autre voie est possible. À nous de le leur montrer ! Une manière de résumer une pensée de Confucius : "La vraie connaissance est de connaître l'étendue de son ignorance".


La rédaction de TF1info

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