Mort de Laurent Cantet : un cinéaste qui osait regarder la jeunesse en face

Publié le 26 avril 2024 à 6h21, mis à jour le 26 avril 2024 à 7h12

Source : Sujet TF1 Info

Palme d’or à Cannes en 2008 avec "Entre les murs", le cinéaste français Laurent Cantet est décédé à l’âge de 63 ans.
Il avait été révélé avec "Ressources Humaines", un drame dans lequel un jeune diplômé d'une grande école était confronté à un plan social.
Tout au long de sa carrière, ce fils d’instituteurs avait régulièrement filmé le trouble de la nouvelle génération face au monde des adultes.

En plongeant le spectateur dans le quotidien d’une classe de 4ème aussi turbulente qu’attachante dans Entre les murs, Laurent Cantet était parvenu à raconter une histoire universelle. Celle d’une jeunesse en rupture avec l’institution scolaire incarnée par l'écrivain François Bégaudeau, acteur principal de cette libre adaptation de son propre roman. Présenté aux dernières heures du 61ᵉ Festival de Cannes en 2008, le quatrième long-métrage du cinéaste avait déjoué les pronostics pour remporter la première Palme d’or tricolore depuis Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat, 21 ans plus tôt.

"Les performances d’acteurs, magiques. L’écriture, la provocation, la générosité… Magiques !", s’était exclamé le président du jury, l’acteur et réalisateur américain Sean Penn après l'annonce du palmarès. Dans les couloirs du Palais des Festivals, les jeunes comédiens recrutés au sein d’un lycée professionnel lui étaient tombés dans les bras sous l’œil amusé de leur cinéaste, figure bienveillante qui était parvenue à saisir la complexité d’une génération née avant la tyrannie des réseaux sociaux.

Un classe de collège filmée sur le vif

Avant de connaître la consécration sur la Croisette à l’approche de la cinquantaine, ce fils d’instituteurs, diplômé de la Fémis, avait construit une œuvre aussi précieuse que cohérente, avec pour point commun un regard acéré sur les maux de la société contemporaine et d'une jeunesse déboussolée dès son premier court-métrage, Tous à la manif !, où un garçon de café se mêle aux échanges d'un groupe de lycéens.

Dans son premier long-métrage, Ressources Humaines, en 2000, un jeune diplômé d’une grande école parisienne joué par Jalil Lespert est chargé de mettre en place les 35 heures dans une usine de province lorsqu’il découvre l’existence d’un plan social. L’année suivante, L’Emploi du Temps met en scène un consultant incarné par Aurélien Recoing qui dissimule son licenciement à son épouse et s’acoquine avec un criminel.

Inspirée de l’affaire Jean-Claude Romand, il s’agit de sa première collaboration avec le scénariste Robin Campillo qu’il retrouve en 2005 pour Vers le sud, une fable tragicomique sur le tourisme sexuel où un jeune Haïtien noue une relation ambigüe ave Brenda, une touriste américaine jouée par Charlotte Rampling.

Toujours sobre et sans effet de manche, le cinéma de Laurent Cantet prend un virage presque radical avec Entre les murs puisque les échanges entre prof et élèves à l'écran ont été conçus sur le vif, la classe du film ayant été constituée avec des volontaires, venus participer à une classe d’impro avec le cinéaste chaque mercredi pendant plusieurs semaines.

Après la Palme, Entre les murs séduit plus de 1,6 million de spectateurs et décroche le César de la meilleure adaptation et représente la France aux Oscars. Laurent Cantet patientera quatre ans pour livrer son film suivant. Adaptation en anglais du roman éponyme de l’immense Joyce Carol Oates, Foxfire dresse le portrait d’un gang de filles dans l’Amérique des années 1950.

Malgré une presse favorable, c’est un échec commercial, tout comme son film suivant, Retour à Ithaque, l’histoire de cinq amis qui se retrouvent sur une terrasse de la Havane, après le retour d’exil de l’un d’entre eux. Loin de ses bases, Laurent Cantet s'est ouvert à de nouveaux horizons de cinéma. Mais il a quelque peu laissé filer l’urgence de ses premiers films. 

Ce qui me passionne en filmant les jeunes gens, c’est l’impression de regarder un moment de vie tellement décisif, où chaque instant à un poids
Laurent Cantet

Le cinéaste va retrouver la flamme en 2017 avec L’Atelier, un drame à la lisière du thriller dans lequel Olivia, une romancière célèbre jouée par Marina Foïs, dirige un atelier d’écriture pour des jeunes en réinsertion de la Ciotat. Parmi eux Antoine, interprété par le novice Matthieu Lucci, dont la violence suscite le malaise chez ses camarades autant qu’elle fascine son aînée.

C’est le même regard inquiet sur la nouvelle génération que Laurent Cantet porte dans Arthur Rambo, son dernier film sorti en 2021. Ouvertement inspiré de Mehdi Meklat, Karim D. est un jeune écrivain de banlieue dont la gloire naissante se brise lorsque les réseaux sociaux exhument les messages antisémites qu’il a écrit sous pseudo. Un rôle que le cinéaste avait confié à Rabah Naït Oufella, l’un des jeunes acteurs de Entre les murs.

"Ce qui me passionne en filmant les jeunes gens, c’est l’impression de regarder un moment de vie tellement décisif, où chaque instant à un poids", nous confiait Laurent Cantet à la sortie du film. "C’est le moment où la pensée se met en place. Où on se pense soi-même dans le monde. Il y a aussi l’idée qu’ils sont les adultes de demain. C’est à eux qu’on va confier notre monde. Et c’est intéressant de les écouter, de leur donner la parole, un espace pour exister."

Cet attachement à la jeunesse se retrouvait dans les engagements du cinéaste. Membre de RESF (Réseau éducation sans frontières), Laurent Cantet avait parrainé la mère de l’un des jeunes acteurs d’Entre les murs dans sa demande de régularisation. Il faisait également partie du collectif 50/50 qui milite pour renforcer la diversité et promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes au sein du cinéma français.


Jérôme VERMELIN

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