Nayib Bukele, ce président réélu du Salvador qui assume d'être un "dictateur cool"

par M.G
Publié le 6 février 2024 à 22h58

Source : TF1 Info

Nayib Bukele a revendiqué dimanche une victoire écrasante lors de l'élection présidentielle au Salvador.
Le dirigeant de 42 ans, qui entame son deuxième mandat, consolide un pouvoir de plus en plus absolu à la tête du pays.

Il se présente lui-même avec une ironie piquante comme un "dictateur cool". Au pouvoir depuis 2019, Nayib Bukele s'est déclaré dimanche vainqueur "avec plus de 85% des voix" de l'élection présidentielle au Salvador. Le tout alors que le Tribunal suprême électoral (TSE) n'avait validé lundi après-midi que 2,3 millions de votes, sur les 6,2 millions d'inscrits au Salvador et à l'étranger. Qu'importe, pour le dirigeant de 42 ans, la victoire est d'ores et déjà actée. Et totale, son parti Nuevas Ideas revendiquant également le gain de 58 des 60 sièges de l'Assemblée législative. Il "a atteint une concentration absolue du pouvoir", analyse Tamara Taraciuk, du groupe de réflexion Inter-American Dialogue à Washington, qui estime que "la démocratie salvadorienne est en jeu".

Une mainmise absolue sur les institutions

Il faut dire que depuis son accession au pouvoir en 2019 à la faveur d'un "dégagisme" des deux partis au pouvoir (Arena, à droite, et le FMLN, héritier de la guérilla marxiste) depuis la fin de la guerre civile au Salvador (1979-1992), il s'est appliqué à assoir sa mainmise sur le pays. Il a ainsi rapidement remplacé les juges de la Cour suprême et le procureur général du Salvador, ce qui lui a permis, au passage, de contourner une Constitution qui n'autorise normalement qu'un seul mandat présidentiel. 

Il a aussi ordonné à la police et à l'armée de pénétrer dans un parlement alors dirigé par l'opposition afin d'obtenir un prêt destiné à financer un plan de lutte contre la criminalité. À la faveur du dernier scrutin, il s'est finalement assuré un contrôle total de ce même parlement et du pouvoir législatif. Nayib Bukele "dispose désormais d'un chèque en blanc pour adopter son programme de gouvernement", note Gustavo Flores-Macias, analyste à l'université Cornell de New York, auprès de l'AFP. "En l'absence de contre-pouvoirs institutionnels, il ne sera guère incité à respecter une loi qui ne lui est pas favorable. Une fois les contrepoids démantelés, il sera difficile de rectifier le tir lorsque les Salvadoriens décideront que les pouvoirs du président doivent être limités", prévient-il encore. 

Son charisme et ses compétences en matière de communication sont sans équivalent en Amérique latine
Michael Shifter

Toujours est-il que le président du Salvador, cet État d'Amérique centrale d'un peu plus de six millions d'âmes, jouit aujourd'hui d'une popularité sans équivalent. "Il y a une dévotion à son égard. Son charisme et ses compétences en matière de communication sont sans équivalent en Amérique latine", souligne Michael Shifter, du groupe Dialogue. Apprécié pour son franc-parler et son style vestimentaire - il délaisse chemise et cravate au profit de jean, t-shirt et casquette à l'envers -, cet enfant issu d'une famille de dix enfants est très suivi sur les réseaux sociaux (5,8 millions d'abonnés sur X). 

Sa trajectoire improbable lui confère aussi sans doute une certaine forme de sympathie. Issu d'une famille chrétienne originaire de Palestine qui est parvenu à faire fortune dans le textile, les produits pharmaceutiques et la publicité, il a d'abord étudié le droit à l'Université centraméricaine de la capitale... sans obtenir de diplôme. Mais après avoir démarré sa carrière politique à l'orée de la trentaine dans une petite ville de 8000 habitants, il a grimpé à une vitesse effarant les échelons dans l'administration régionale puis nationale. 

Un combat sans merci contre les gangs...

Cela ne l'empêche pas de se montrer ferme, voire impitoyable, comme dans la guerre sans merci qu'il livre aux gangs qui gangrenaient le pays avant 2022. Depuis la déclaration de l'état d'urgence, plus aucune des 14 villes qui se trouvaient avant sous l’autorité de ces organisations criminelles ne le sont plus aujourd’hui. Entretemps, 70.000 à 100.000 personnes ont été placées derrière les barreaux (1,6 à 2,3% de la population, soit le plus fort taux d’incarcération au monde), dans des conditions parfois largement critiquées, y compris par certains États occidentaux. Conséquence de cette politique, le Salvador n’a recensé que 154 homicides en 2023, contre 6600 en 2015 (le taux d'homicide s'est écroulé de 106,3 pour 100.000 habitants en 2015 à 2,4 en 2023). 

Parmi ses autres décisions fortes, l'élu a augmenté de 20% le salaire minimum moyen, instauré le bitcoin en monnaie nationale (aux côtés du dollar américain), subventionné l’essence ou encore distribué 300 dollars et des paniers alimentaires aux habitants dans le besoin pendant la crise du Covid-19. Des mesures qui en appellent sans doute bien d'autres dans les quatre années à venir. 


M.G

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