Portugal : le parti d’extrême droite Chega s’inspire-t-il des codes de la dictature de Salazar ?

Publié le 25 avril 2024 à 7h30

Source : TF1 Info

Le 25 avril 1974, au Portugal, la Révolution des œillets renverse la dictature de l’Estado novo (État nouveau).
Cinquante ans plus tard, un nouveau parti d’extrême droite émerge dans les urnes.
Avec des formules similaires à celles du régime et une critique acerbe de la décolonisation, Chega remet en scène les nostalgiques du régime d’Antonio Salazar.

Un coup de tonnerre. En 2014, le politologue José Adelino Maltez jugeait dans Courrier International "peu probable" l’émergence de l’extrême droite au Portugal : "Les conditions sociales et politiques ne sont pas réunies. Le parti communiste portugais équilibre le système par son nationalisme." L'article 46 de la Constitution interdit d’ailleurs les "organisations qui adoptent l'idéologie fasciste". Jusqu’en 2019, le Portugal faisait office d’exception en comptant aucun élu d’extrême droite.

Or, 50 ans après la révolution des Œillets, les Portugais viennent d’élire cinquante députés à l’Assemblée de la république. Aux élections législatives du 10 mars dernier, la région méridionale de l’Algarve et l’est du pays frontalier avec l’Espagne ont massivement soutenu le parti Chega (Ça suffit, en français). Avec 18,1 % des suffrages exprimés, le parti d’extrême droite devient la troisième force politique du pays.

Son leader charismatique, André Ventura, se dresse contre "un système dominé par des élites corrompues". À l’instar de Marine Le Pen, Viktor Orbàn ou Donald Trump, il combat l’immigration clandestine et ne manque pas d’épancher des propos xénophobes. Le slogan du parti ne dit pas autre chose : "Limpar o Portugal" (nettoyer le Portugal en français). Victor Pereira, docteur en histoire contemporaine à l’université de Pau, dépeint un "bon orateur" : "Il s’appuie sur des stéréotypes et stigmatise les populations tsiganes. Il insiste sur le sentiment d’abandon éprouvé par beaucoup de Portugais et dénonce une disparition des services publics." Le spécialiste de l’histoire du Portugal ne manque pas de faire remarquer que dans sa thèse de droit, soutenue en Irlande, André Ventura défend des idées opposées à ce qu’il propose aujourd’hui.

Populisme à tout prix

À l’Assemblée, André Ventura se sert de son rôle de député comme d’une tribune pour critiquer les partis au pouvoir sans faire de propositions : "Pour lui, le système détruit, massacre, brise. En 2020, à l’occasion d’un débat sur la restitution d’œuvres d’art aux pays africains, il a proposé de rendre Joacine Katar Moreira (députée portugaise d’origine guinéenne) à son pays", détaille le chercheur.

Malgré une économie florissante, une dette réduite et un déficit en recul, les Portugais éprouvent beaucoup de difficultés à se loger et à changer de travail. "André Ventura adapte son discours aux jeunes qui ont du mal à accéder à l’emploi ou à se loger. À Lisbonne, difficile de trouver un appartement ou une chambre à moins de 600 euros", déplore Victor Pereira. Les diatribes de Chega contre les partis au pouvoir trouvent leur écho chez les jeunes : "Ils n’ont pas connu la dictature de l’État nouveau. Ce régime ne correspond pas à des expériences vécues. Sur les réseaux sociaux, Tiktok en tête, Chega martèle que leur chef est cool, sympa et proche des gens. Ils lancent des punchlines qui parlent aux jeunes", ajoute le chercheur.

Critique de la révolution des Œillets

Ancien séminariste, à l’instar du chef de l’État nouveau Antonio Salazar, André Ventura défend bec et ongles la colonisation portugaise. En septembre 2022, en visite au Mozambique, le Premier ministre Antonio Costa exprime ses excuses pour le massacre commis par l'armée portugaise à Wiriyamu. Pour le leader de Chega, il s’agit d’une trahison. "André Ventura estime que le Portugal n’aurait jamais dû perdre son empire colonial. D’après lui, la révolution a trahi les populations africaines désirant rester liées au Portugal et a abandonné les retornados (colons de retour en métropole)", précise Victor Pereira.

Chega certifie que la révolution des Œillets n'a pas amélioré les conditions de vie : "Elle est responsable de trois banqueroutes de l'État. Elle ne profite peu ou pas aux Portugais qui, depuis cinquante ans, continuent de vivre en faisant d'immenses sacrifices". À l’image de la dictature de l’État nouveau, le parti défend "la grandeur nationale du Portugal, ses traditions et ses valeurs catholiques." Sans se cacher, André Ventura se réapproprie la doctrine de l’État nouveau : dieu, famille, patrie, travail. Même si les Portugais identifient toujours le 25 avril comme le marqueur des progrès économiques, sociaux et démocratiques, il ne fait plus figure de repoussoir et n’empêche plus les partis anti-systèmes de le critiquer.

Le parti Chega peut-il décrocher le pouvoir ? Victor Pereira n’y croit qu’à moitié : "On ne peut jamais dire jamais. Ils ont crevé le plafond de verre. Les partis de gouvernement ne sont pas habitués à faire face à un tel trublion. Il a le vent en poupe et les partis traditionnels n’ont plus de leader charismatique." Il faudra néanmoins attendre de futures élections pour affirmer que Chega suscite une réelle adhésion. "André Ventura se dit prêt à négocier avec le PSD (parti social-démocrate) pour soutenir son gouvernement. Mais le parti de centre droit, arrivé en tête des dernières élections législatives, refuse. Chega rétorque en déplorant que le système se protège. Pour l’instant, dans une frange de l’opinion, la stratégie du parti gagne à tous les coups", conclut Victor Pereira.

La Révolution des Œillets est au cœur d'un documentaire diffusé par la chaîne Histoire TV le documentaire "Sous les œillets, la révolution portugaise". Un film qui permet de revivre minute par minute la fin de 41 ans d'une dictature qui, en l'espace d'une nuit et d'une journée, a volé en éclats. Disponible en streaming pour les abonnées à la chaîne via les distributeurs.


Geoffrey LOPES

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