Migrants et SDF évacués à Paris : un "triage social intensif" à l'approche des JO 2024, dénonce une ONG

Publié le 20 mars 2024 à 18h47

Source : TF1 Info

Une centaine de migrants ont été évacués mercredi d'un campement dans le 12e arrondissement de Paris.
Les ONG dénoncent un "nettoyage social" orchestré par les autorités.
À l'approche des JO, prévus fin juillet, ces dernières chercheraient ainsi à soigner l'image de la ville.

Un "nettoyage social" dans la région parisienne ? C'est ce que dénoncent depuis plusieurs mois des associations : à l'approche des Jeux olympiques, les autorités souhaiteraient ainsi donner une autre image de la capitale. Dernier exemple en date ? L'évacuation, ce mercredi 20 mars au matin, d'une centaine de migrants, principalement des mineurs non accompagnés, sous un tunnel dans le 12e arrondissement.

Antoine de Clerck, chargé de la coordination au sein de l'association Le Revers de la médaille, regroupant quelque 80 associations et ONG françaises, nous explique les enjeux de ces "expulsions sèches", amenées selon lui à se multiplier ces prochaines semaines.

Depuis combien de temps ce "nettoyage social" est-il selon vous pratiqué ?

Les opérations d'éviction ont commencé au printemps dernier. En particulier en Seine-Saint-Denis, à L'Ile-Saint-Denis et à Saint-Denis, où les squats et les bidonvilles ont été évacués, car ils étaient à proximité immédiate des sites olympiques tels que le village des athlètes. Au total, 4000 personnes ont été concernées. Évidemment, personne ne peut se satisfaire qu'il y ait des squats et des bidonvilles, et si ceux-ci peuvent être résorbés, c'est une bonne nouvelle. Sauf qu'ici, cela se déroule sans aucune solution : ce sont des expulsions sèches, sans diagnostic social préalable. Les gens restent dans la rue.

C'est ce que nous avons vu ce mercredi matin sur les berges de Seine : cela fait trois semaines que la zone fait l'objet d'un triage social intensif. Évidemment qu'il ne doit pas y avoir de tentes durant les Jeux, notamment en raison de la présence des gradins pour la cérémonie d'ouverture. Mais ce qu'on déplore, c'est que cela se passe sans préavis. L'arrêté pour ce mercredi matin a été pris hier, mardi. On ne laisse pas le temps aux gens de ramasser leurs affaires. En outre, tout cela se fait sans aucune solution : les 100 jeunes expulsés ce matin ont juste été repoussés sur les quais hauts de la Seine. C'est ce qu'on ne comprend pas : environ 500 personnes ont été évacuées des berges il y a une dizaine de jours. Si on revient aujourd'hui, on observe des dizaines de tentes qui se réinstallent. Les gens n'ont nulle part où aller. C'est sans fin.

On cherche à montrer un meilleur visage.
Antoine de Clerck

Avez-vous le sentiment que le calendrier des autorités s'accélère ?

C'est très net. La semaine dernière, 200 personnes ont été expulsées d'un bidonville à Antony (Hauts-de-Seine). Là, on s'attend à l'évacuation de 400 personnes dans un squat de Vitry (Val-de-Marne). On ne comprend pas pourquoi ils sont évacués maintenant, même si dans le paysage urbain, cela ne fait pas très propre. On cherche à montrer un meilleur visage, à faire disparaitre ces baraquements.

Des personnes esseulées telles que des SDF sont-elles aussi concernées ?

Il y a des SDF, des grands marginaux. Des gens qui sont dans la rue depuis très longtemps, qui souffrent souvent de problèmes d'addiction ou psychologiques. Ils font l'objet de mesures d'éloignements, des "sas territoriaux". On leur propose de façon plus ou moins coercitive de partir en région. Cela est proposé indistinctement à toutes les personnes sans abri, avec ou sans titre de séjour. La plupart des migrants qui survivent dans ces campements sont d'ailleurs soit en séjour régulier, soit en demande d'asile. Les personnes en situation irrégulière, elles, ne prennent pas le risque de se retrouver exposées aux forces de l'ordre. Elles sont très peu présentes dans ces campements ciblés.

Ces éloignements en région se font indistinctement. Chaque mardi, il y a une opération de mise à l'abri : un campement est démantelé, et on propose aux gens de monter dans un bus pour partir en région, Rennes, Strasbourg, Bordeaux. Selon nos informations, environ 40% d'entre eux se voient proposer trois semaines d'hébergement, puis ils sortent du lieu. Ceux qui cochent les bonnes cases administratives (personnes en situation régulière, avec des enfants…) vont pouvoir trouver des conditions plus pérennes. Les 60% restants sont remis à la rue, avec un certain nombre d'entre eux qui reviennent en Île-de-France.

Les autorités avancent le chiffre de 120.000 places d'hébergement disponibles. Est-ce insuffisant, selon vous ?

Ces places existent, elles ont augmenté au fil du temps. Mais on a un problème de logement : les gens ne sortent pas de ce système. Nous remplissons un petit plus chaque année, et puis personne n'en sort ; c'est un hébergement d'urgence qui se prolonge pendant un an, deux ans... Ce système n'est pas satisfaisant puisque la moitié des places sont dans des hôtels. L'État contractualise pour héberger des familles, qui ne sortent pas de ce système.

On ne comprend pas pourquoi les expulsions s'accélèrent actuellement, en particulier pour des gens qui vivent dans des habitats précaires. En clair : on augmente le problème. Par ailleurs, 200 places ont été prévues à l'occasion des Jeux. Mais il en faudrait 7000 pour que personne ne soit dans la rue durant cette période. C'est beaucoup, mais comparé aux 16 millions de touristes que la France s'apprête à recevoir, c'est un peu dérisoire. Je rappelle qu'on a fait sortir de terres 23.000 logements pour les Jeux. C'est formidable, mais on se dit que quand on va dépenser 9 milliards d'argent privé et public, on peut en demander 10 millions pour loger 7000 personnes. Cela parait à la hauteur d'un pays comme la France.  


Thomas GUIEN

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