Vague de contestation chez les policiers : quatre questions pour comprendre la situation

par Maëlane LOAËC avec AFP | Reportage TF1 Maurine Bajac et Léa Géry
Publié le 26 juillet 2023 à 13h08

Source : JT 20h Semaine

Un agent de la BAC de Marseille, soupçonné de violences policières, a été placé en détention provisoire la semaine passée.
La décision a entraîné une vague de contestation dans la police : des centaines de fonctionnaires ont décidé de se mettre en arrêt maladie ou de réduire fortement leur activité.
Parti du sud-est de la France, le mouvement s'étend à plusieurs autres régions, avec des conséquences directes pour les habitants.

Des chaises vides et des ordinateurs éteints : le centre névralgique de la police marseillaise et sa salle de commandement sont presque à l'arrêt, en témoignent les images du reportage du 20H de TF1 en tête de cet article. C'est dans la cité phocéenne qu'un mouvement de protestation a pris forme au sein des forces de l'ordre ces derniers jours, après le placement de l'un des leurs en détention provisoire la semaine passée. Si l'ampleur de la contestation reste difficile à évaluer, en l'absence de chiffres officiels, celle-ci semble gagner du terrain. Selon les syndicats, plusieurs centaines d'agents seraient mobilisés pour réclamer que leur collègue puisse sortir de prison, dans l'attente de son procès.

Pourquoi les policiers protestent-ils ?

Tout est parti du placement en détention provisoire en fin de semaine dernière d'un policier d'une brigade anticriminalité (BAC) de Marseille. Mis en examen avec trois autres collègues - placés de leur côté sous contrôle judiciaire - l'agent est soupçonné d'avoir roué de coups un jeune homme dans la nuit du 1er au 2 juillet. La scène se serait déroulée lors des violences urbaines qui ont suivi la mort de Nahel, un adolescent de 17 ans tué le 27 juin dernier par un policier lors d'un contrôle routier à Nanterre.

Dans la foulée, le syndicat de gardiens de la paix Unité SGP Police a appelé tous les policiers de France à restreindre leur activité au strict minimum, voire à se mettre en arrêt maladie, pour protester contre cette incarcération, jugée injuste. "On a l'impression qu'il fallait un coupable, pour calmer les ardeurs et éventuellement qu'il n'y ait pas d'autres émeutes, et on en a trouvé un", a expliqué une policière à TF1. Le directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux, a même explicitement demandé à laisser le fonctionnaire de la BAC sortir de détention, estimant dans un entretien au Parisien "qu'avant un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en prison"

Des propos rapidement décriés par le monde judiciaire et l'opposition politique de gauche, tandis que du côté du gouvernement, Emmanuel Macron s'en est tenu à rappeler que "nul en République n'est au-dessus de la loi". Quant au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, il ne s'est pas exprimé depuis le début de la crise.

Quelle est l'ampleur du mouvement ?

Ses services refusent d'ailleurs de communiquer sur le nombre de policiers contestataires. Mais les syndicats de police, eux, avancent le chiffre de plusieurs centaines d'agents mobilisés dans le sud-est, où le mouvement a débuté. À Marseille, 600 à 700 policiers sont absents selon eux. "L'intégralité" des effectifs de la ville est touchée, a indiqué à l'AFP Bruno Bartoccetti, en charge de la zone Sud chez Unité SGP Police FO, évoquant plus largement "300 à 500 arrêts maladie" mardi dans les Bouches-du-Rhône, sur environ 4200 fonctionnaires de la sécurité publique. "Depuis deux jours, ça s'est diffusé dans le Vaucluse, les Alpes-Maritimes, le Gard ou le Var", a-t-il ajouté. À Nice, le fonctionnement de deux commissariats sur quatre était aussi perturbé mardi, selon la direction départementale de la sécurité publique des Alpes-Maritimes.

Le mouvement semble désormais s'étendre, touchant aussi l'Île-de-France. Unité SGP Police FO, qui avait appelé les fonctionnaires à se mettre en service minimum, recensait à la mi-journée mardi plus de 120 unités impactées, surtout de la voie publique. "Il y a eu un effet de contagion très, très rapide", a affirmé à l'AFP Eddy Sid, délégué syndical de l'organisation. Des fonctionnaires de Toulouse, Grenoble et Bordeaux ont également rejoint le mouvement mardi.

Quelle forme la contestation prend-elle ?

Les policiers ne disposent toutefois pas du droit de grève, et utilisent donc d'autres biais pour manifester leur mécontentement. Plusieurs centaines d'entre eux demandent à leur médecin de leur signer un arrêt maladie, tandis que d'autres choisissent de s'en tenir au service minimum, à l'aide du "code 562", un jargon policier qui signifie qu'ils ne prennent plus en charge que les missions d'urgence et essentielles. 

D'ordinaire, c'est ce code que les agents envoient à leur hiérarchie lorsqu'ils sont sur le terrain, pour l'informer qu'ils sont en pause. Seulement cette fois-ci, cette pause dure toute la journée. "Les policiers sont au commissariat, ils sont en service. Mais ils ne sortent pas", explique Jean-Christophe Couvy, secrétaire national du syndicat SGP Police Force Ouvrière. "C'est une façon de dire : on est au travail, mais ne compte pas sur nous."

Quelles conséquences pour les habitants ?

Mais cette pratique n'est pas sans effet pour les usagers. Certains commissariats affichent portes closes, tandis que ceux qui restent ouverts refusent souvent d'enregistrer des plaintes, sauf si elles sont particulièrement urgentes. À Marseille, la préfecture de police a même conseillé aux habitants d'aller déposer plainte en dehors de la ville. Il reste toutefois la possibilité de se rendre à la gendarmerie pour le faire ou de remplir une pré-plainte en ligne. En cas d'urgence, les policiers continuent aussi de se rendre sur le terrain : ils ne sortent pas du commissariat, "sauf en cas d'appel au 17, d'appel au secours ou s'il y a vraiment une affaire en cours", assure Jean-Christophe Couvy. "Dans ces cas-là, les policiers font leur métier."

"Il faut espérer que ce mouvement ne dure pas et que nos concitoyens, qui eux sont victimes et ont besoin d'une réponse policière, puissent être accueillis. Pour le moment, les conditions d'accueil ne sont pas encore dégradées. C'est pour ça qu'il ne faut pas que ça dure et que les signaux soient forts", estime de son côté David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale. Pour l'heure, il reste impossible de savoir si le nombre de plaintes en France a baissé depuis le début de la mobilisation, qui pourrait encore se poursuivre plusieurs jours. Le fonctionnaire de la BAC mis en cause a contesté son placement en détention provisoire et son appel sera examiné le 3 août par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.


Maëlane LOAËC avec AFP | Reportage TF1 Maurine Bajac et Léa Géry

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