Emploi des personnes handicapées : les avancées du numérique ne bénéficient pas encore à tous

Publié le 21 novembre 2023 à 10h09

Source : JT 20h Semaine

Intelligence artificielle, téléagrandisseurs, commandes vocales, ChatGPT… Le domaine du numérique produit des outils toujours plus inclusifs.
Pourtant, le taux de chômage des personnes handicapées reste presque deux fois plus élevé que dans la population générale.
En cause, des logiciels inadaptés, des sites internet inaccessibles ou encore des plateformes aux contenus incompréhensibles. Deux personnes handicapées en recherche d’emploi décrivent leur ressenti.

Plus de 12 % des personnes handicapées ne travaillent pas. Si ce chiffre du chômage baisse depuis 2015, il reste presque deux fois plus élevé que dans la population générale. La Fédération des aveugles de France estime même que 50 % des personnes déficientes visuelles en âge de travailler demeurent au chômage. Une étude, réalisée en 2016 par l’Union nationale des familles et amis des personnes malades et/ou handicapés psychiques (Unafam), affirme que quatre personnes handicapées psychiques sur cinq restent quant à eux sans activité professionnelle.

Du 20 au 26 novembre 2023, la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées sensibilise les entreprises publiques et privées. Pour la 27ᵉ édition, l’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (ADAPT) a choisi de pointer la transition numérique. Avec cette question : "Est-ce un accélérateur pour l’emploi des personnes en situation de handicap ?" Malgré de nouveaux outils puissants et très performants, la réponse ne coule pas de source. "L’accessibilité numérique n’est à ce jour encore qu’une exigence, malgré son inscription dans la loi française depuis 2005", regrette l’ADAPT.

Sur le terrain, l’association propose une formation nommée "Passerelle numérique" d’une durée de six mois à destination des personnes en situation de handicap. Objectif, remettre à niveau les compétences des bénéficiaires et leur faire découvrir les outils numériques. Le suivi permet ensuite d’accéder à des formations qualifiantes dans le domaine du numérique et à des métiers comme le développement web, le design/l’infographie et le métier de technicien réseau.

"Le numérique m’a permis de reprendre confiance et m’a appris une méthode"

Anthony Maurice a obtenu un baccalauréat général en 2008. Une lourde maladie psychique lui a empêché de poursuivre ses études. Pendant le confinement, il a suivi plusieurs présentations des métiers du numérique : "Mon état de santé s’est stabilisé, je me suis progressivement mis au codage. Un référent de l’Adapt qui me suit m’a dirigé vers la formation passerelle numérique." Le jeune homme, encadré 30 heures par semaine, met en pratique certains éléments qu’il a appris tout seul, découvre de nouvelles technologies et gagne en motivation : "J’ai appris une méthode de travail et j’ai repris confiance en moi. Je me suis rendu compte que je suis autant capable qu’un autre et aussi légitime de développer des sites internet. Faire quelque chose qui me plaît et qui m’apporte m’a extrêmement motivé."

Outre le bagage technique, ses formateurs l’encouragent et le rassurent : "Avant ma formation, quand je trouvais des offres d’emploi, je me sentais limité. Je me disais toujours que ce n’était pas pour moi." Les formateurs prennent le relais, accompagnent et redirigent. Ils ont vite vu du potentiel en Anthony Maurice et l’ont poussé plus haut : "Ils ont constaté que pendant la formation, j'assimilais bien les connaissances et m’ont proposé une formation de concepteur développeur d’application. Je suis optimiste, j’ai déjà des contacts avec des entreprises pour valider mes formations." 

Rien n’est acquis pour autant. Les associations défendant les personnes handicapées dénoncent une "fracture numérique" qui laisse certains utilisateurs pourtant très connectés sur le carreau.

"Je ne sais pas vers quelle plateforme me tourner pour rechercher un emploi"

De son côté, Pénélope Hamme se noie dans les informations proposées. Devant la multiplicité des plateformes, la jeune malvoyante se sent perdue. "J’ai une licence de ressources humaines et trois ans d’expérience. La présentation des pages web m’empêche de chercher correctement. Les textes manquent de contrastes, difficile d’identifier les filtres de recherche et impossible de remplir les captchas visuels. Je trouve le site de Pôle emploi pas du tout accessible : je mets 1 h 30 pour remplir un formulaire, c’est très fatigant." Préparer un CV, trouver des offres d’emploi et passer un entretien en visioconférence deviennent pour elle de véritables défis : "En visio, je ne me rends pas compte si je suis bien cadré par rapport à la caméra, si mon micro est bien allumé et impossible de trouver le bouton pour qu’il fonctionne." La disposition de l’écran diffère en fonction du grossissement ou de l’installation vocale en vigueur sur l’ordinateur de la personne malvoyante. En l’occurrence, un bouton reste difficile à décrire de l’autre côté de l’écran. Les réunions à distance posent à Pénélope Hamme un problème plus grand encore : "Je n’ai pas toujours toutes les informations affichées sur nos écrans partagés. Le temps que je trouve les diaporamas diffusés, la personne passe à une autre slide et je ne peux pas récupérer les données. Nos logiciels diminuent fortement notre réactivité."

Pénélope Hamme ne considère pas le numérique comme un accélérateur pour l’emploi. Si elle reconnaît que tout est a priori accessible, elle juge que toute nouvelle plateforme ajoute une difficulté : "Elles restent toutes difficiles à utiliser pour les personnes déficientes visuelles. Les filtres que j’ai réussis à sélectionner ne correspondent pas à mon profil et les alertes que je reçois constamment sur mon téléphone sont caduques."

Sur le chemin de la sensibilisation, les progrès semblent porter leurs fruits. Les associations rappellent que les réglementations existent et réclament à l’État de les faire appliquer. Elles demandent notamment aux entreprises de mettre à jour leur déclaration de conformité. Elles déplorent une pénurie de consultants en accessibilité, ce qui n’exhorte pas les entreprises à adapter leurs outils numériques.


Geoffrey LOPES

Tout
TF1 Info