Finances dans le rouge : la France au bord du gouffre ? François Lenglet vous dit tout

Publié le 21 mars 2024 à 16h10, mis à jour le 27 mars 2024 à 17h21

Source : TF1 Info

Avant même la publication du chiffre officiel, le gouvernement a annoncé que le déficit public serait plus important que prévu.
Selon le ministre chargé des Comptes publics, la situation serait provoquée par un "nouveau contexte" économique.
Mais pour François Lenglet, ce n'est pas la seule raison.

Les chiffres ne sont pas bons. Tandis que Bruno Le Maire a annoncé en février 10 milliards d'économies supplémentaires dès cette année du fait de prévisions de croissance revues à la baisse, l'exécutif s'attend également à un déficit plus important que prévu. Quelques jours avant l'annonce du chiffre officiel par l'Insee, ce mardi 26 mars, le ministre délégué charge des Comptes publics Thomas Cazenave a ainsi évoqué un déficit "supérieur à 5%" du PIB en 2023, atteignant donc un niveau "plus élevé" que l'objectif de 4,9% précédemment fixé par le gouvernement.

Au lendemain de réunions à l'Élysée autour d'Emmanuel Macron sur les finances publiques, le ministre a tenté d'expliquer sur franceinfo ce dérapage du déficit par un "nouveau contexte". Mais quelle est la situation économique de la France ? Le spécialiste économie de TF1 François Lenglet nous livre son analyse. 

Différentes sources évoquent un déficit public qui va être plus important que l'objectif précédemment fixé par le gouvernement. Comment peut-on expliquer cette situation des finances publiques ?

François Lenglet : Il y a une raison de fond qui est que la situation française est sérieusement détériorée depuis plusieurs années. Cela a été masqué par un certain nombre de facteurs exceptionnels, comme les taux à 0% qui ont permis de s'endetter sans que cela coûte trop cher, que ce soit pendant le Covid ou un peu après. Mais on a aussi un président qui est le plus dépensier de la Vᵉ République, au-delà même du Covid. Tout cela s'est accumulé depuis plusieurs années. 

À cet état des choses, deux éléments se sont progressivement ajoutés. Le premier est la hausse des taux d'intérêts, dont l'impact a été progressif. Le deuxième correspond à une détérioration de la conjoncture, qui a fait que les recettes fiscales ont été moins importantes que prévu. Quand on additionne la détérioration progressive des finances publiques, liée au fait qu'on dépense sans compter depuis plusieurs années dans des conditions exceptionnelles, et ces deux éléments qui étaient prévisibles, on arrive à cette situation.

Plus de dépenses, moins de recettes, cela a conduit à plus de déficit
François Lenglet

L'exécutif justifie le dérapage du déficit public par un "nouveau contexte" économique. Sont cités le "ralentissement" économique de la Chine, la guerre en Ukraine ou encore les difficultés de "partenaires européens" comme l'Allemagne qui ont "rejailli" sur la France, et pèsent sur la croissance et donc sur les rentrées fiscales. Qu'en pensez-vous ?

Le gouvernement estime qu'on ne pouvait pas savoir, parce que la conjoncture économique s'est détériorée plus rapidement qu'on ne le pensait, et cela a fait chuter les recettes. Cette explication tient pour une partie seulement des dépenses. Lors du deuxième semestre de l'année 2023, de nombreuses initiatives de dépenses se sont additionnées. Des dépenses qui n'avaient rien à voir avec la conjoncture. Cela a eu un effet de ciseaux. Plus de dépenses et moins de recettes, cela a conduit à plus de déficit.

La France a-t-elle déjà atteint un tel niveau de déficit ?

On a déjà été à ce niveau de déficit, mais dans des circonstances graves en termes de conjonctures, plus détériorées qu'aujourd'hui. Avec une croissance comme celle de l'année 2023 et surtout après une reprise très forte, comme on l'a connue en 2021 et en 2022, on aurait dû avoir des finances plus solides. Cette situation est bien le résultat de décisions politiques ou de non-décisions politiques.

Le couperet des agences de notation

Ces signaux d'alerte sur les finances publiques surviennent à un mois du prochain verdict des agences de notation. Fitch et Moody's donneront une nouvelle appréciation de la capacité de la France à rembourser sa dette le 26 avril prochain et la décision de l'agence S&P est annoncée pour le 31 mai. Quelles conséquences les résultats de ces agences vont-elles avoir ?

L'impact d'une éventuelle dégradation de la note de la France serait d'abord d'ordre politique, avant les élections européennes. Emmanuel Macron s'est toujours présenté comme le champion de l'économie et dans l'économie, il y a les finances publiques. La dégradation de la note de la France serait un signe qu'Emmanuel Macron est un mauvais gestionnaire. Or cela peut être un point négatif juste avant le scrutin des élections européennes, alors que la liste conduite par le parti gouvernemental rencontre déjà des difficultés.

Le deuxième impact est économique. Lorsque la note est dégradée, les intérêts augmentent. Parce qu'une note dégradée signifie que la perspective de remboursement de la dette est un peu obscurcie. On peut penser qu'un pays dont la note est dégradée aura plus de mal à rassembler l'argent nécessaire pour rembourser sa dette. Cela se traduit par un taux d'intérêt un peu plus élevé. Or, les taux d’intérêts, c'est la seule chose qu'on paie dans la dette puisque les emprunts sont renouvelés à chaque fois qu'on arrive à échéance. Cela représente déjà 57 milliards d'euros cette année, avant même la dégradation éventuelle de la note française. Il s'agit de l'un des postes budgétaires les plus importants dans les dépenses de l'État. L'actuelle hausse des taux d'intérêt doit déjà conduire à ce que cette charge augmente progressivement dans les années à venir. Et si la note est dégradée, il y aura un nouveau surcoût.

Quels gages peut-on donner aux agences de notation pour éviter une dégradation ?

Pour leur donner des gages, il n'y a pas de mesure particulière, mais il faut montrer qu'on a pris la mesure de la détérioration du déficit et qu'on prend des décisions pour corriger cette trajectoire. En 2023, on était déjà passé à un cheveu de la détérioration. Quand on regarde nos finances publiques, elles sont beaucoup plus détériorées que celles de pays qui ont la même note que nous. La France a bénéficié d'un crédit supplémentaire. Mais avec un gros dépassement comme celui qui est annoncé aujourd'hui, on voit mal comment on peut passer à côté d'une dégradation.


Aurélie LOEK

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