Sandrine Martinet, para judokate : "Le sport m’a permis d’exprimer ma colère et mon sentiment d’injustice"

Publié le 18 mars 2024 à 13h00

Source : JT 13h WE

Triple championne du monde, championne paralympique aux jeux de Rio en 2016… La judokate malvoyante Sandrine Martinet, catégorie B2 des -48 kilos, impressionne la concurrence.
Kinésithérapeute dynamique, la Francilienne a vaincu sa timidité et anime de nombreuses conférences.
Pour Avec elles, nous vous présentons une série de sportives médaillables aux jeux paralympiques de Paris du mercredi 28 août au dimanche 8 septembre prochain.

Avant le combat, les judokas saluent le tapis, les juges-arbitres et s’envoient un signal de respect mutuel. Face à face, ils ne cessent pas de se tenir le kimono. Les athlètes mal ou non-voyants suivent les mêmes règles que les valides. Toujours en contact avec l’adversaire, ils perçoivent tous les mouvements de l’autre.

Sandrine Martinet pratique le judo depuis ses 9 ans. À 41 ans, elle a quatre médailles olympiques à son palmarès et trois titres de championne du monde. Cerise sur le gâteau, elle a porté le drapeau de la délégation française aux Jeux paralympiques de Tokyo en 2021. "Mes frères faisaient du judo au lycée. Cet art martial m’a plu. Dès mon arrivée dans mon premier club, je me suis sentie comme un enfant en kimono qui faisait du sport comme les autres." En tenue de combat, elle parvient à oublier son handicap. "Le code moral du judo fait de ce sport de combat une évidence pour moi. Je me suis dit que ce profond respect entre les combattants empêcherait toute moquerie sur mon handicap."

Depuis sa naissance, la judokate doit faire avec une maladie génétique qui l’empêche de voir correctement : "Je suis achromate, je ne vois aucune couleur et j'ai une diminution de l'acuité visuelle. Je suis autonome, mais j’ai tendance à regarder parterre pour me diriger et je fais souvent appel à mes enfants pour choisir mes habits." Timide et réservée, elle se retrouve en difficulté à l’école. Intégrée dans un milieu scolaire ordinaire, elle est moquée et insultée à cause de son handicap. Elle a du mal à voir le tableau : "Je trouvais tellement injuste de devoir faire tous ces efforts à cause de mon handicap. Enfant, j’attachais beaucoup d’importance à ce que pensaient les autres. Je voulais me rebeller."

Le sport comme exutoire

Battante, caractérielle, Sandrine Martinet se sert du sport pour canaliser son énergie : "J’avais besoin de me battre pour prouver que j’avais ma place. Le sport m’a permis d’exprimer ma colère et mon sentiment d’injustice." Les compétitions lui offrent une reconnaissance et beaucoup d’énergie pour dépasser ses limites. "Plus jeune, j’emmagasinais beaucoup de manque de confiance en moi. Le sport m’a obligé à me sortir de ma zone de confort, à me confronter à des difficultés et à apprendre." Sa plus grande fierté, intervenir dans des conférences devant des centaines de spectateurs : "Je parle résilience, handicap, sport et santé… Je me souviens que je pleurais dès que je me faisais interroger en classe. Au bac, j’étais au bord du malaise pendant mes oraux. Maintenant, je me sens à l’aise."

La rencontre avec l’équipe de France handisport de judo lui sert de déclic : "Mes coéquipiers m’ont aidé à me positionner sur mon handicap. J’ai trouvé des personnalités inspirantes et enrichissantes." Désormais, les remarques ne blessent plus Sandrine Martinet. "Les personnes se trouvent ridicules lorsque je leur explique ma malvoyance."

Elle espère que les jeux paralympiques feront évoluer la société. "Nous avons beaucoup de retard. Le handicap reste perçu comme péjoratif. Un ingénieur déjà en poste qui subit un accident de voiture garde souvent les mêmes capacités intellectuelles qu’avant, par exemple. Toute personne handicapée a toujours des qualités, il faut l’aider pour qu’elle se reconcentre dessus, s’adapter et compenser pour travailler ses faiblesses." Elle en profite pour lancer un appel : "Il y a une vraie méconnaissance du handicap. Nous devons dépasser nos a priori et prendre le temps d’échanger. Plus nous nous connaissons, moins il y a de malaises et de peurs sur le sujet."

Difficile d’être femme et sportive de haut niveau

Lui parler de sexisme ne lui dit rien d’abord : "Je n’ai pas l’impression d’avoir subi quoi que ce soit de dégradant. Dans mon sport, la fédération donne autant de moyens aux hommes qu’aux femmes." Rien d’évident pour cet art martial, a priori destiné aux garçons. "Nous apprenons à chuter et à nous relever au sens propre et au sens figuré. En tant que femme, je n’ai pas eu l’impression de traverser de grandes difficultés." Elle admet néanmoins "tout mener de front" : son métier libéral, la galère économique des fins de mois, l’éducation de ses deux enfants et sa carrière de sportive de haut niveau. "Mon mari est souvent en déplacement pour son travail. Sur les lieux de compétitions, je dois sortir le porte-monnaie pour amener mes enfants avec moi."

Sandrine Martinet s’implique dans des commissions équité. Elle constate que les difficultés se multiplient toujours pour les femmes. "Combien de sportives ont perdu leurs sponsors depuis qu’elles sont mamans ? Combien de femmes ont toutes les peines du monde à continuer d’allaiter leur bébé en reprenant les entraînements et la compétition ?" Au-delà de la grossesse, la judokate pointe d’autres problématiques physiques spécifiques aux femmes : "Je m’intéresse à l’étude de la préparation physique, trop souvent uniquement basée sur des données masculines. Je me souviens d’une nageuse chinoise ultra-favorite qui termine quatrième à un championnat du monde. Elle venait d’avoir ses règles quelques heures avant la course. Femmes et hommes ne perdent pas de poids de la même façon. Ça peut avoir son importance pour changer de catégorie dans les sports de combat." Pour elle, l’équipe autour des athlètes doit toujours maîtriser ces notions et ajuster les paramètres pour tirer le meilleur de ses athlètes féminines.

Les 5 et 6 septembre, Sandrine Martinet tentera de décrocher un cinquième podium olympique.


Geoffrey LOPES

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