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INTERVIEW | Claude Onesta : "à 100 jours des JO, la dynamique des Français n'a jamais été aussi bonne"

Publié le 17 avril 2024 à 8h00, mis à jour le 17 avril 2024 à 10h15

Source : JT 13h Semaine

Dans 100 jours, le vendredi 26 juillet, les athlètes français débuteront "leurs" tant attendus Jeux olympiques.
Où en sont-ils dans la dernière ligne droite de leur préparation ? Combien de médailles la France peut-elle vraiment viser ?
Claude Onesta, patron de la Haute performance à l'Agence nationale du sport, répond à TF1info.

Où en sont les athlètes français dans leur préparation des Jeux olympiques ? À 100 jours de la cérémonie d'ouverture, TF1info s'est entretenu avec Claude Onesta. Depuis plus de cinq ans, le double champion olympique à la tête de l'équipe de France de handball est en charge de la Haute performance à l'Agence nationale du sport. Claude Onesta, 67 ans, mène la politique du sport français pour faire de ces Jeux de Paris une fabrique à médailles olympiques tricolores. Comment la délégation française s'est-elle préparée ? Combien de médailles la France peut-elle vraiment viser ? Entretien.

À 100 jours du début des JO, la délégation française est-elle prête ?

Claude Onesta : J'espère que non ! Dans le sport de très haut niveau, le plus compliqué est de rester au top. Quand on est au top à 100 jours de l'événement, c'est presque inquiétant. Jusqu'ici, nous suivons nos athlètes via un baromètre permanent, et pour certains d'entre eux, il est très satisfaisant. Mais à 100 jours de l'événement, il ne faut pas perdre de la vigilance, de la rigueur ou de la concentration. À l'inverse, pour les athlètes dont la confiance se dégrade, nous regardons comment reprendre une pente ascendante et retrouver des zones d'efficacité. C'est notre quotidien depuis six ans et demi.

J'ai identifié 120 athlètes potentiellement capables d'aller chercher une médaille
Claude Onesta, manager général à la Haute performance de l'Agence nationale du sport

Beaucoup d'athlètes français ne sont pas encore qualifiés pour les JO. Comment jugez-vous la dynamique actuelle de la délégation malgré cette incertitude ?

Elle n'a jamais été aussi bonne. Ce n'est ni de l'auto-persuasion, ni du rêve éveillé, mais basé sur des indicateurs factuels. Nous observons le niveau de performance de nos athlètes au regard des résultats obtenus dans les compétitions mondiales depuis un an. Si l'on se compare avec Tokyo (2021), nos athlètes sont en situation plus favorable.

Que disent les chiffres ?

Analysons les podiums obtenus par les Français dans les épreuves mondiales qui figurent aux Jeux olympiques. Certes, pour Tokyo, il y a eu le Covid, mais fin 2019, les Français avaient cumulé 37 médailles et pointaient à l'équivalent de la neuvième place au classement des nations. In fine, la France a terminé les JO avec 33 médailles et une huitième place. Aujourd'hui, d'après ce même classement, fin 2023, nous avions 60 médailles obtenues et une quatrième place au classement des nations. Nous sommes mieux positionnés aujourd'hui qu'avant les précédents Jeux.

La France peut-elle donc viser le Top 5, l'objectif affiché par Emmanuel Macron depuis des années ?

Je ne suis ni magicien, ni visionnaire. Mais ce qui était peut-être un rêve fou il y a sept ans, au moment où l'on m'a confié cette mission, peut devenir une réalité. J'ai identifié 120 athlètes olympiques potentiellement capables d'aller chercher une médaille. Et je ne parle pas de l'exploit inattendu. Ce chiffre correspond aux médaillés sur la dernière année, ainsi que ceux qui ont terminé quatrième, cinquième, ou sixième, et se situent à une distance infime de la médaille. Ils sont capables de battre les meilleurs occasionnellement. Tous les jours, nous travaillons au bénéfice de ces 120.

Ceux qui racontent qu'ils risquent d'échouer ont déjà commencé à perdre
Claude Onesta, manager général à la haute performance de l'Agence nationale du sport

C'est tout de même un objectif très supérieur aux résultats obtenus par la délégation française depuis plusieurs décennies…

Depuis 20 ans, le niveau des performances françaises stagne, voire décline. Pas parce que l'on travaille mal, mais parce que de plus en plus de nations investissent dans le sport de haut niveau. Il y a davantage de concurrence internationale, ce qui rend les médailles plus difficiles à obtenir. L'étape des 100 jours consiste à ne pas laisser échapper notre potentiel dans la dernière ligne droite et à être au rendez-vous du jour J.

Le groupe spécialisé dans les statistiques, Gracenote, anticipe pour la délégation tricolore 51 médailles, dont 27 en or, avec une troisième place au classement. Ce serait du jamais-vu pour des JO modernes.

Cela vient valider mon discours. Ce chiffre provient d'une analyse de données d'une entreprise dont c'est le cœur de métier. On peut estimer que lorsqu'une entreprise vit grâce aux données qu'elle vend, elle va chercher à ce qu'elles soient les plus fiables possibles, non ? D'autant qu'il s'agit d'un groupe étranger, qui n'a pas vocation à servir la soupe des Français. Cette entreprise a par exemple étudié, depuis plusieurs olympiades, l'influence du pays hôte sur ses résultats. Ce n'est donc pas uniquement une analyse des derniers podiums. Moi, je suis peut-être plus raisonnable.

Elle estime notamment qu'évoluer à domicile aide à la performance. Cela rajoute forcément, dans le même temps, une pression supplémentaire aux athlètes qui ne vivront jamais une deuxième olympiade à la maison. Comment la gérer ?

La pression est le carburant du sport de haut niveau. Si vous n'avez pas de pression, vous faites la sieste ! Tous les athlètes en ont besoin, cela les anime pour s'améliorer. Nous ne voulons surtout pas leur enlever cette pression. En revanche, elle peut effectivement devenir une chape de plomb qui écrase. Nous menons auprès des athlètes un travail de confiance. C'est indispensable : si l'athlète est persuadé qu'il ne va pas y arriver, c'est déjà fini. Sur les réseaux sociaux ou dans des interviews, ceux qui racontent qu'ils risquent d'échouer ont déjà commencé à perdre. Ils ne sont plus dans la bagarre pour gagner, mais sont en train de se trouver des issues de secours pour ne pas être fautifs. Nous travaillons tous les jours pour que cela ne soit pas le cas.

Je n'ai pas vocation à être un père Noël : nous n'avons pas fait tout cela pour que les athlètes soient contents
Claude Onesta, manager général à la haute performance de l'Agence nationale du sport

Quid de l'aspect mental ? N'est-ce pas la clé pour triompher au plus haut niveau ?

Évidemment. 80% des athlètes qui étaient à Tokyo seront à Paris. Or, ce n'est pas par la qualité de l'entraînement que nous allons transformer nos athlètes au point qu'ils vont devenir champions olympiques. Il a fallu agir sur l'environnement - ce que l'on appelle le mental, même si ça ne veut rien dire. Pour cela, il faut déjà que l'athlète se sente solide. Nous avons donc travaillé sur le statut des athlètes afin de leur garantir un revenu minimum de 40.000 euros par an, qui permet de se dédier à sa pratique. Cet accompagnement, associé à la qualité des entraînements, doit permettre d'emmener nos athlètes au meilleur endroit, au meilleur moment. Même si rien ne garantit le résultat.

Parlons des entraîneurs, qui occupent une place prépondérante dans la réussite des athlètes. Comment travaillez-vous avez eux ?

Nous avons construit le "plan coach". Je connais bien ce métier (il a été entraîneur de l'équipe de France de handball de 2001 à 2016, NDLR), j'avais le sentiment que beaucoup d'entre eux étaient de très bons entraîneurs, capables de faire progresser leurs athlètes, mais il n'y en avait pas beaucoup capables de les faire gagner.

D'où votre déclaration de 2021, où vous disiez vouloir "les expertises pour accompagner les athlètes", y compris en les recrutant à l'étranger...

Pas uniquement. Il fallait aussi s'occuper de ceux qui avaient l'expertise chez nous, mais étaient peut-être dans une forme de lassitude ou de résignation. Nous avons beaucoup travaillé pour retrouver l'ambition de nos entraîneurs, leur redonner une forme de détermination. Cela a pour effet d'augmenter les compétences et les ambitions de leurs athlètes. Oui, nous sommes allés chercher des experts, nous avons augmenté les rémunérations, nous avons mis en place des accompagnements individualisés, nous les avons réunis en séminaire... Les résultats de nos athlètes, c'est le fruit de tout cela. Mais je n'ai pas vocation à être un père Noël : nous n'avons pas fait tout cela pour que les athlètes soient contents, mais pour que cela soit efficace et que le pays soit récompensé.

Les sports collectifs ont rapporté six médailles en 2021 (l'or en hand masculin, hand féminin et volley masculin, l'argent en basket masculin et rugby à 7 féminin, le bronze en basket féminin), du jamais-vu. Peuvent-ils faire aussi bien à Paris ?

Les résultats des sports collectifs à Tokyo ont été exceptionnels. Il y a eu un effet d'entraînement qui s'est transformé en spirale de réussite. Mis à part le football, qui n'avait pas vraiment investi sur la compétition (la plupart des clubs n'ont pas libéré les joueurs initialement sélectionnés, NDLR), nous avons eu un alignement des planètes. Quand tu réalises presque la compétition parfaite une fois, c'est compliqué de la réaliser une nouvelle fois. Mais j'espère que ce moment fort va perdurer et que nous serons au même endroit à la fin des Jeux de Paris.


Idèr NABILI

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