Attentat près de Moscou : comment les relais pro-russes alimentent la "piste ukrainienne"

Publié le 23 mars 2024 à 18h31, mis à jour le 23 mars 2024 à 19h21

Source : TF1 Info

Après l'attaque perpétrée dans une salle de concert de Krasnogorsk, Vladimir Poutine a repris à son compte la version du FSB qui incrimine Kiev.
Si les faits pour corroborer cette piste manquent, les relais pro-russes la distillent à longueur de publications.
Une façon de servir le narratif russe.

Les faits pointent du doigt la responsabilité de l'État islamique. Mais la Russie continue de regarder du côté de l'Ukraine. Alors que la branche afghane de l'organisation terroriste a revendiqué dès vendredi soir l'attaque meurtrière perpétrée dans la salle de spectacle Crocus City Hall près de Moscou, les propagandistes pro-russes continuent de blâmer Kiev pour cette fusillade sanglante.

À commencer par le chef du Kremlin lui-même. Si Vladimir Poutine est resté évasif sur la responsabilité de son voisin ce samedi 23 mars, il s'est appuyé sur les "données préliminaires" des enquêteurs russes pour incriminer l'Ukraine. Selon lui, une "fenêtre avait été préparée du côté ukrainien" pour permettre aux assaillants "de franchir la frontière". Ainsi, le président russe reprend la version des faits présentée plus tôt par le FSB. Dans la matinée, les services de sécurité indiquaient que les membres du commando, interpellés plus tard, avaient des "contacts" en Ukraine. L'ex-président russe Dmitri Medvedev s'empressant d'assurer sur Telegram que "s'il est établi qu'il s'agit de terroristes du régime de Kiev (...) ils doivent tous être retrouvés et détruits sans pitié en tant que terroristes. Y compris les dirigeants de l'État qui a commis une telle atrocité."

Un deepfake et des spéculations

De quoi nourrir la "piste ukrainienne", reprise en chœur par les relais pro-russes. Dès vendredi soir, une vidéo supposée montrer une interview d'un haut responsable ukrainien a largement circulé dans les canaux russes, jusqu'à être diffusée par la chaine privée NTV. Dans celle-ci, on entend Oleksiy Danilov, secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense de l'Ukraine, reconnaître la responsabilité de ses services dans la fusillade et s'en réjouir. "Je pense que ce qui se passe à Moscou aujourd'hui est très amusant", aurait-il dit. "J'aimerais croire que nous organiserons plus souvent ce genre d'activités pour eux." Sauf qu'Oleksiy Danilov n'a jamais prononcé ces mots : il s'agit d'un deepfake. Un enregistrement audio du responsable ukrainien a été généré par l'intelligence artificielle avant d'être monté sur une vidéo.

Pas de quoi éteindre la rumeur. Ce samedi matin, dès 10h, Margarita Simonyan révélait "connaitre les noms des auteurs". Omettant sciemment de préciser que le groupe terroriste EI-K avait lui-même revendiqué l'attentat moins de trois heures après la fusillade, la directrice de Russia Today a accusé "les services spéciaux occidentaux de vouloir convaincre la population qu'il s'agissait de l'État islamique". "Il ne s'agit pas du tout de l'EI. Ce sont des Ukrainiens", a ajouté cette figure bien connue de la propagande sur son canal Telegram, suivie par un demi-million de personnes, décrivant un "tour de passe-passe". Idem du côté d'un média francophone tenu par une Christelle Néant, une Française qui tient un blog de désinformation financé par Vladimir Poutine après avoir défendu pendant plus de dix ans les différents référendums d'annexion qui ont eu lieu en Crimée puis dans le Donbass. "L'appartenance ethnique des terroristes ne détourne en rien la piste criminelle de l'Ukraine et de l'Occident", écrivait-elle ce matin, multipliant les spéculations infondées. 

Pour seul argument, les canaux russes ont publié une série de vidéos des interrogatoires musclés des hommes suspectés d'avoir participé à la fusillade. Or, l'un d'eux aurait déclaré avoir commis l'attaque "contre de l'argent". Plus exactement "500.000 roubles", soit l'équivalent de 5000 euros. "Il a déclaré qu'il avait été contacté sur Telegram et qu'on lui avait fourni des armes", souligne l'agence Tass, qui a relayé ces séquences. Si, sur les images, l'assaillant présumé ne donne pas l'identité de son commanditaire, il indique avoir été approché par un homme "sans nom ni prénom" qui se faisait appeler "l'assistant du prédicateur". Un flou dont les figures pro-russes n'ont pas tardé à s'emparer pour accuser Kiev d'avoir ordonné cette attaque. "Les services de sécurité de Kiev ont engagé des migrants d'Asie centrale, et notamment des Tadjiks, pour ce crime terrible", a écrit, sans preuve aucune, le blogueur militaire russe Yuriy Podolyaka dans une publication partagée ensuite par Vladimir Soloviev, le propagandiste en chef du Kremlin. 

Un autre site pro-russe a quant à lui affirmé avoir retrouvé un "ordre de recrutement d'assassins" publié directement sur internet. "Le recrutement des tueurs a été orchestré depuis l'ambassade d'Ukraine au Tadjikistan", s'est empressé d'affirmer ce blog coutumier des informations créées de toute pièce et repris par des comptes russophiles en France. 

ON FAIT LE POINT - Fusillade à Moscou : quel est le profil des assaillants ?Source : JT 13h WE

Autant de versions qui s'ajoutent les unes ou autres, se distillent à travers les comptes Telegram et les plateaux russes. Malgré la version présentée par l'État islamique, avec un long communiqué et une photo des assaillants, pour laquelle Vladmir Poutine n'a pas eu un seul mot lorsqu'il a réagi à l'attentat. De là à voir une responsabilité du Kremlin dans ce narratif ? Ce samedi, le site d'opposition Meduza révélait en tout cas que les médias financés par l'État et les figures proches du gouvernement auraient été chargés de mettre l'accent sur d'éventuelles "traces" d'implication de Kiev. Pour alimenter la piste ukrainienne, coûte que coûte.


Felicia SIDERIS

Sur le
même thème

Tout
TF1 Info