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Délinquance : les parents peuvent-ils réellement "fouiller le téléphone ou la chambre" de leurs enfants à leur insu ?

Publié le 24 avril 2024 à 18h38, mis à jour le 25 avril 2024 à 15h31

Source : JT 20h Semaine

Ce mardi, Sabrina Agresti-Roubache a appelé les parents à faire preuve d'autorité pour lutter contre la délinquance des jeunes.
La secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté a notamment recommandé aux parents de "fouiller dans le téléphone ou la chambre".
Un conseil qui contrevient au droit à la vie privée des enfants.

Elle a voulu donner son avis de "maman", elle a surtout fait sursauter les juristes. Tandis que le gouvernement cherche à lutter contre la délinquance des jeunes, la secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté a appelé les parents à faire preuve "d'autorité". "Reprenez confiance en vous", a lancé Sabrina Agresti-Roubache ce mardi 23 avril sur le plateau de France 2, avant d'assurer que les parents ont "le droit de fouiller dans le téléphone, de chercher quelque chose dans la chambre". La membre du gouvernement est même allée plus loin, confiant être "frappée" par l'idée selon laquelle "un adolescent a une vie privée".

Le droit à la vie privée commence dès la naissance

Pourtant, n'en déplaise à la secrétaire d'État, il s'agit d'un droit assis juridiquement. Tous les avocats que nous avons contactés citent ainsi l'article 9 du Code civil, qui protège le "respect à la vie privée" pour "tout Français", qu'importe son âge. "La sortie de la ministre va à l'encontre du Code civil et d'une loi votée par ce même gouvernement le 19 février dernier", souligne Anne-Sophie Laguens.

Auprès de TF1info, cette avocate en droit de la famille rappelle en effet que ce texte, initialement proposé pour protéger la vie privée des enfants sur les réseaux sociaux, consacre le devoir des parents au respect et à la protection de la vie privée de leur enfant. Un droit qui est même gravé depuis plus de 30 ans dans la Convention Internationale des droits de l'enfant, dont la France est signataire.

Ce droit possède toutefois une limite. "Il doit être combiné avec la nécessaire protection des mineurs par leurs parents", nous explique l'avocate Marion Ménage. "L'intimité de l'adolescent est au carrefour entre deux intérêts contradictoires : d'un côté celui de la vie privée, qui commence dès la naissance, et de l'autre cote l'autorité parentale", confirme également l'avocat Alexandre Archambault. 

Derrière cette notion, on retrouve l'ensemble des droits et des devoirs que les parents ont vis-à-vis de leur enfant mineur. C'est pourquoi l'avocat spécialisé dans le numérique décrit la "ligne de crête" sur laquelle doivent progresser les parents. Et que l'on retrouve inscrite dans les textes. L'article 16 de la Convention Internationale des droits de l'enfant protège ainsi la vie privée de l'enfant, dans le domicile ou dans la correspondance, de toute "immixtion arbitraire ou illégale". Idem dans le Code civil, rappelant que les parents exercent leur autorité parentale en associant l'enfant "aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité"

L'article 16 de la Convention internationale des droits de l'enfant
L'article 16 de la Convention internationale des droits de l'enfant - Capture d'écran

"Une expression qui montre que c'est de l'appréciation au cas par cas", note Alexandre Archambault, que l'autorité parentale "évolue à mesure que l'enfant gagne en autonomie". Pour Marion Ménage, c'est d'ailleurs "l'âge du mineur" qui doit permettre "de venir mesurer si une atteinte à la vie privée est proportionnée". "Un parent qui surveille le téléphone de son enfant de 12 ans, cela paraîtra plus adapté et justifié que sur un mineur de 17 ans", relève l'avocate pénaliste dans le Val-d'Oise. "Il y a un juste milieu qui doit être trouvé entre fouiller dans le téléphone et respecter l'intimité à tout prix", corrobore Anne-Sophie Laguens. Auprès de TF1info, l'avocate au barreau de Paris cite des exemples concrets de parents passés devant le juge pour avoir été trop présents dans la vie privée ou numérique de l'enfant. 

L'atteinte à la vie privée du mineur doit se faire de façon justifiée et mesurée
Marion Ménage, avocate en droit de la famille

De l'avis des trois avocats interrogés, il revient donc au parent de trouver cet équilibre. Précisément comme le souligne la Cnil. Dans un avis rendu le 31 juillet 2023 sur la question, la commission chargée de l'informatique et des libertés décrit le "juste équilibre" que doivent trouver les garants de l'autorité entre "contrôle parental et respect des droits des mineurs". Quoi qu'il en soit, "normalement, on ne peut pas imposer un accès au téléphone à un adolescent, sauf dans un strict souci de protection", conclut Me Laguens, citant en exemple des cas de harcèlement en ligne. "Le parent exerce le droit de son enfant, mais il n'en est que mandataire et il agit dans l'intérêt de l'enfant et pas le sien", résume quant à lui Alexandre Archambault.

Contrairement à ce qu'affirme la ministre, les choses sont donc loin d'être aussi simples. Mais elle ne semble pas être la seule à oublier le droit de l'adolescent à disposer de sa vie privée. Bien que ce principe soit porté par plusieurs textes, lorsqu'il s'agit d'enfants, il est "peu reconnu en pratique et trop souvent bafoué", comme l'a très récemment noté le Défenseur des droits. Dans un rapport publié fin 2022, il regrettait déjà à l'époque le manque de "précision quant aux contours de la notion de vie privée" pour les enfants.

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Felicia SIDERIS

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