ENQUÊTE - Exploités, frappés, tués : les "intérimaires" de la drogue, acteurs et victimes du trafic

par La rédaction de TF1info | Reportage : Antoine Bourdarias, Guillaume Aguerre, Élodie Dubosc
Publié le 27 avril 2024 à 11h46

Source : JT 20h WE

À Marseille, les réseaux de trafiquants de drogue recrutent de jeunes guetteurs et dealers pour des missions de quelques jours.
Des petites mains qui deviennent les esclaves de leurs employeurs.
Bien souvent, ces jeunes sont aussi les premières victimes des règlements de compte.

Ils viennent de toute la France. De jeunes guetteurs et de petits dealers sont fréquemment recrutés sur les réseaux sociaux pour des missions de quelques jours ou quelques semaines sur l'un ou l'autre des nombreux points de deal de Marseille (Bouches-du-Rhône). Mais dans ce monde ultraviolent, la moindre erreur se paie très cher. Ces petites mains du trafic se retrouvent souvent prises au piège par leurs propres employeurs. Pour Me Stéphane Arnaud, avocat au barreau de Marseille, "on est clairement sur de l'esclavagisme et sur de la torture".

De jeunes candidats recrutés sur les réseaux sociaux

En 2023, les règlements de comptes ont fait 49 morts à Marseille. La moitié de ces victimes avaient moins de 25 ans et dix d'entre elles ne venaient pas de Marseille. Face à des descentes de police plus nombreuses et une guerre de territoires toujours plus meurtrière, la main-d'œuvre locale a déserté certains points de deal. Alors, les narcotrafiquants ont dû chercher de nouveaux candidats, de plus en plus jeunes, recrutés partout en France via de véritables annonces postées sur les réseaux sociaux.

Il y a plusieurs mois, une équipe de TF1 s'était rendue dans la cité du Mail, à Marseille. Selon un dealer originaire de Paris rencontré sur place, l'équipe chargée de faire tourner le point de vente sur les lieux est majoritairement composée de mineurs venus d'un peu partout. "Chaque travailleur qui vient ici, il sait pourquoi il vient ici et il sait les risques qu'il encourt. Soit tu vas finir en prison, soit tu vas te prendre une balle", assure-t-il. Mais même lorsqu'ils évitent les balles ou la case prison, ces jeunes nomades du stup deviennent les esclaves des réseaux qui les emploient.

Des victimes torturées

Frappés pour ne pas avoir repéré une patrouille de police, obligés de rembourser la marchandise saisie après une interpellation... Sur les réseaux sociaux, des vidéos sont publiées comme des avertissements. Sur l'une d'entre elles, un adolescent d'à peine 15 ans est menacé avec une arme à feu pour avoir vendu de la drogue au mauvais endroit. 

Pendant leur patrouille, les policiers croisent de plus en plus de jeunes retenus de force par leurs employeurs. "On pourrait dire que ce sont des auteurs d'infractions. En réalité, aujourd'hui, on les considère de plus en plus comme des victimes qui viennent se jeter dans les bras des policiers en suppliant presque d'être interpellés pour être sortis des griffes de ces réseaux", détaille Olivia Glajzer, cheffe de l'antenne OFAST à Marseille. 

Au sein de ces réseaux sans pitié, des bourreaux n'hésitent pas à torturer leurs victimes. En septembre dernier, six personnes ont été jugées pour séquestration et actes de barbarie sur deux mineurs, âgés de 15 et 16 ans, qui étaient venus travailler sur un point de deal. La Cour d'assises des mineurs a condamné les accusés à des peines allant de 7 à 25 ans de réclusion criminelle. Me Stéphane Arnaud était l'avocat d'une des victimes. Il décrit la violence sans limite que son client a subie : "Pendant cinq jours, il a été quasiment privé de manger, il a été frappé au quotidien, on lui a piétiné les mains jusqu'à lui causer des fractures. Ça va aller jusqu'au viol sous la menace d'une arme. La condition humaine n'existe pas." Le phénomène est pris très au sérieux par les autorités. Désormais, pour chaque affaire liée au narco-banditisme, le procureur de Marseille demande l'ouverture d'une enquête pour traite d'êtres humains. 

Le risque de "mourir sur un point de deal"

Ces jeunes recrutés sont également devenus les premières victimes des règlements de comptes et de la guerre sanglante à laquelle se livrent les réseaux. Pour Olivia Glajzer, le risque qui plane sur eux est simple : "Mourir sur un point de deal, dès la première nuit où on deale" Le fils de Karine Brouillard, Hugo, est l'une de ces victimes. Elle a accueilli des journalistes de TF1 chez elle, dans une petite commune près de Valenciennes (Nord) pour raconter ce qui lui est arrivé. 

L'an dernier, alors qu'il vient d'avoir 21 ans, Hugo dit à ses parents qu'il a dégoté un petit boulot dans un restaurant du sud de la France. Karine, qui a régulièrement de ses nouvelles, ne se doute de rien. Jusqu'au jour où elle reçoit un appel d'un hôpital marseillais, qui la prie de venir en urgence : Hugo vient d'y être emmené après une fusillade. Il a reçu une balle dans la tête. Karine se souvient de la première réaction qu'elle a eue : "C'est un coma, ça va s'arranger." C'est au moment où elle voit son fils à l'hôpital qu'elle "commence à comprendre que ça doit être plus grave" que ce qu'elle pense.

Par le passé, Hugo avait déjà eu des problèmes liés au trafic de drogue. Mais sa mère ne comprend toujours pas comment son fils a pu mourir dans un règlement de comptes, lui qui a grandi dans une petite commune tranquille, à des centaines de kilomètres des quartiers nord de Marseille. Karine Brouillard, qui décrit sa famille comme "parfaitement intégrée", se demande encore aujourd'hui "ce qu'il est parti faire là-bas". Si Karine Brouillard prend la parole aujourd'hui, c'est pour alerter les adolescents attirés par l'argent du trafic des risques qu'ils prennent en allant dealer à Marseille. 


La rédaction de TF1info | Reportage : Antoine Bourdarias, Guillaume Aguerre, Élodie Dubosc

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